Pour ceux qui ne connaîtraient pas ce chef d’œuvre de Jorge Furtado…
(Ce n’est pas la première fois que je le partage, je sais… Et certainement pas la dernière…)
Pour ceux qui ne connaîtraient pas ce chef d’œuvre de Jorge Furtado…
(Ce n’est pas la première fois que je le partage, je sais… Et certainement pas la dernière…)
En cours d’écriture d’Anomalie des zones profondes du cerveau, je remarque une rémanence aquatique. Les eaux stagnantes du Guaíba de L’Île aux Fleurs, celles du Maici – le passage sur les Pirahãs qui s’est finalement déplacé dans le livre Ensuite, j’ai rêvé de papayes et de bananes –, L’Étrange créature du Lac Noir… Et je viens de voir la série Top of the Lake de Jane Camion qui se déroule dans un « paradis » grandiose, le lac Wakatipu, en Nouvelle Zélande, porteur de nombreuses légendes māories.
Je pense alors à ajouter un fil narratif, ce couple qui se retrouve au bord du Léman, dans le village de Publier. Je rassemble mes souvenirs du Léman et du village. Et je me rappelle du livre de Jean-Marie Gleize, qu’il m’avait offert en 1996, Léman. Je dois avouer ne pas l’avoir relu depuis le début des années 2000. Je me rends compte que j’en ai une idée assez floue. Saisissant le livre, je remarque un marque-page adhésif, un seul – alors qu’en général, quand je commence à jouer avec les marque-pages adhésifs, il y en a partout, conséquence, ça ne sert plus à rien… Il dépasse et tranche, rouge, sur le bleu-gris tranquille de la première de couverture. Ouvrant donc la page 135, mes yeux se portent naturellement vers le début d’un nouveau paragraphe qui se détache, annoncé par deux lignes sautées et encadré de blanc tournant :
« La maladie commence.
C’est en automne que la maladie commence.
Octobre. Elle commence. »
Ma respiration s’accélère. Allié à l’épuisement dans lequel je me trouvais à ce moment-là, j’ai une étrange impression de séance de spiritisme ou de Tarot trop pertinent. Pourquoi ai-je choisi cette page à la fin des années 1990 ?
En général, je conserve plutôt des phrases métapoétiques en les soulignant au crayon, ainsi : « de l’autre côté de la poésie » ou « des phrases qui disent ce qui est » ou « j’ai dit “prose” parce que le lac est sans fin » ou « tout aura lieu sans nous, “comme d’habitude”. La littérature sera cette tentative », « Je suis, comme toujours, comme pour toujours, hors des mots, criés, chantés, traduits d’une langue en elle-même, partout traduits, réduits jusqu’à la poussière, à la poussière d’os, le tout balancé dans le fleuve, dans la grosse veine gris et noir qui emporte ça », d’autres énoncés, doucement soulignés dans Léman d’un trait gris, effaçable, au fil du texte, sans pour autant avoir droit à un signe érectile…
Je repère aussi quelques commentaires, avec mon écriture de l’époque, plus ronde et appliquée : « voir Rimbaud », « 10/01/1998. Impression de bétail », « personnage d’enfant, cf. Sarraute ou Duras ? ».
Pourquoi avoir marqué d’un drapeau rouge la maladie automnale de la page 135 alors qu’à l’époque, je ne souffrais pas encore d’algie vasculaire de la face s’annonçant en octobre… Je sais bien qu’il s’agit d’une tout autre maladie dans Léman, d’un autre projet. Qu’il peut y avoir des centaines d’explications à ce marque-page. Mais ce signe est trop évident, trop parfait. La main qui en a décidé est la même qui écrit est la même qui a réalisé des centaines d’injection au corps qui la soutient, est la même qui caresse, est la même qui ouvre les portes, est la même qui prend en charge les mélodies au piano – en règle générale.
Tagué:algie vasculaire de la face, anomalie des zones profondes du cerveau, automne, Brésil, cluster headache, Creature from the Black Lagoon, Etrange créature du lac noir, Fiction & Cie, Grasset, Guaíba, Haute-Savoie, Jane Campion, Jean-Marie Gleize, lac, lac Wakatipu, Laure Limongi, Léman, Le Seuil, Maici, maladie, migraine, Nouvelle Zélande, octobre, Pirahã, poésie, Publier, roman, Suisse, Top of the Lake
Anomalie des zones profondes du cerveau évoque des paysages de lac – le Léman y occupe une place privilégiée – et une réminiscence : la diffusion du film L’Étrange Créature du lac noir à la télévision française le 19 octobre 1982. Les jours qui précédaient, il y avait eu tout un trafic de lunettes équipées de filtres bleu et rouge, les gamins – dont je faisais partie – étaient surexcités, dans la cour. D’où une intense déception, car rien ne m’est apparu en relief, j’ai juste eu… un peu mal à la tête ; et une sacrée trouille face à ce costume maladroit et pourtant effrayant, à tel point que j’avais un peu d’appréhension à l’idée de revoir le film pour les besoins du livre, même trente ans plus tard. Mais je semble heureusement moins impressionnable…
J’ai retrouvé la présentation de La Dernière séance inaugurant la diffusion culte de ce film, je la partage avec vous. J’aime beaucoup la précision de la speakerine – comme on disait à l’époque – soulignant que seul le film est en relief et qu’il ne sert à rien de scruter les autres programmes en portant ses lunettes à filtre bleu et rouge…
En revoyant le film, j’ai été frappé par cette scène qui, outre les intenses commentaires psychanalytiques qu’elle pourrait susciter, est d’une grande beauté – et une sacrée prouesse technique.