Mon geste s’est développé à la confluence de plusieurs pratiques. En parallèle de textes souvent difficiles à classer s’est déroulée une pratique de la performance. Elle procède sans doute d’une interrogation lancinante sur la force du texte incarné, mis à l’épreuve du dispositif, de la scénographie, du sens de la présence en tant que geste artistique.

Si l’écrit a souvent une place importante dans mon travail de performance – aussi bien comme motif que comme matière –, elle n’est pas un décalque d’objets préexistants. Certaines peuvent dériver de projets déjà publiés ; les textes sont alors modifiés, réagencés. Même quand les existences sont autonomes, ça circule sans cesse, de la page à la scène.

La lecture publique est une pratique distincte, complémentaire, qui confère une place prépondérante à l’objet livre, au déroulement de l’écrit. Elle peut se dérouler avec un musicien ou un groupe, le texte tenant lieu de partition tandis que l’improvisation musicale vit sa vie à la fois propre et concordante, transformant les inflexions, influant sur les rythmes.

J’ai été longtemps attachée au fait de ne pas documenter mes performances. Peut-être en réaction à l’extrême matérialité de l’écrit qui porte ses contraintes propres, le geste de performance se voulait, pour moi, initialement, lié à l’instant et au réseau de spectateurs. L’idée d’un laps comme une île déserte. L’action est une incise dans le flux, tendue et précise. Je suis toujours méfiante vis-à-vis du simulacre de l’événement. Ces traces ne sont pas de mortes archives mais destinées à être réutilisées, remontées ; leur sens peut évoluer, voire, être dévoyé. Ainsi la vidéo « poésie » (2014) diffusée dans certaines performances, avec une scénographie chaque fois différente.

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Performance « Aiguille & poésie – & amour en chas » programmée par Véronique Hubert au Palais de Tokyo, 05/12/15.

Tout comme mes performances portent trace de mon engagement pour l’écrit – un engagement physique –, mes livres sont troués de références voire d’actions artistiques. Fonction Elvis (2006) est très warholien. Le Travail de rivière (2009) a donné, avec mon accord enthousiaste, son titre à l’exposition conçue par Claire Le Restif au CREDAC la même année – avec le lien fort du travail de la main. J’ai pu faire vivre le texte dans le centre d’art à travers une lecture. Anomalie des zones profondes du cerveau, outre des références à des artistes comme Michel Blazy ou Jae Rhim Lee, met en place un dispositif qui excède la succession des pages. Le récit invente une maison de vacances, un chalet au bord d’un lac, destiné à accueillir de nombreux amis pendant la période estivale, l’action se déroulant entre les années 1949 et 1996. J’ai choisi une cinquantaine de mes connaissances et leur ai envoyé un e-mail titré « Es-tu disponible pour les vacances d’août 1967 ? ». Cette invitation les incitait à oublier un livre au chalet, détendus qu’ils étaient par le bon temps passé ou désirant faire partager leur lecture à leurs hôtes. Le livre contient donc la liste des ouvrages présents dans la bibliothèque du chalet, en grande partie constituée par ces invités réels de vacances fictives.

C’est une intrusion plutôt discrète de la réalité dans l’histoire, même si la liste des invités apparaît en note peu après celle des livres – on peut donc aisément y reconnaître des personnes réelles. Au moment de la sortie du livre, j’ai partagé une soixantaine de billets ici, dévoilant certaines sources, dont la composition de la bibliothèque. J’y ai publié certaines réponses particulièrement documentées (avec photos des couvertures, par exemple) ou racontant des histoires. (On peut les lire ici.)

Cette liste de livres, cette liste de noms, qui peuvent passer inaperçues, sont pour moi au cœur du projet d’Anomalie des zones profondes du cerveau, éminemment digressif et polyphonique. Ils ouvrent l’espace de la page.

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Je réalise également des « actions ténues » qui, comme leur dénomination le signale, sont particulièrement discrètes. Par exemple, la création de « Julietta Lumi » à Cambrai en 2013 (qui a une existence céramique et textuelle) ; ou bien le déplacement de coquillages de la plage de La Marana, près de Bastia (Méditerranée) à celle d’Arromanches (Manche) en 2014. Des rituels un peu dérisoires qui dessinent quelque chose du vide, de l’absence, à la fois mélancoliques et loufoques.