
À l’initiative de l’association Baraques Walden menée par Stéphane Nappez, avec neuf autres auteurs et autrices, j’ai contribué à réduire Madame Bovary de Flaubert au format Twitter. L’ensemble des tweets, postés au fur et à mesure sur les réseaux sociaux (ici, là ou là) est à découvrir ici.
Et j’ai répondu à quelques questions sur le sujet pour la revue Perluète (Normandie Livre & Lecture, printemps 2021). Je copie-colle ci-dessous ces réponses.
Est-ce un travail d’écriture difficile de réduire une telle œuvre en tweets ?
Disons que c’est un travail délicat et impressionnant, mettre les mains dans la merveilleuse mécanique flaubertienne, si travaillée, pour en extraire quelques lignes de force et autre détails particulièrement signifiants… Réussir à respecter l’intégrité de l’œuvre tout en se pliant à la contrainte formelle assez drastique de Twitter alors même que Flaubert propose un « roman de la lenteur », comme l’écrit Régis Messac. J’ai envisagé ce travail à la fois comme une chercheuse en littérature – relisant les documents associés aux chapitres que je devais réduire, des extraits de la passionnante correspondance de Flaubert, détaillant les intentions de l’auteur… – et comme la praticienne de l’écriture que je suis, m’appropriant l’histoire, le vocabulaire, le rythme, les couleurs… pour reformuler et parfois commenter ou créer quelques effets de miroir. C’est exaltant de s’emparer – modestement – de la palette de Flaubert ! Le passage des comices agricoles, que j’ai eu la chance de réduire, a été, en la matière, un délice de virtuosité dans lequel se replonger, une architecture orfèvre à remonter.
Pourquoi selon vous faut-il lire ou relire Flaubert en 2021 ?
Ah mais c’est absolument essentiel ! Il y aurait bien des raisons à énumérer, mais disons, pour les différents niveaux de lecture, par exemple. Flaubert croise les tensions narratives du roman (les intrigues amoureuses, les trajectoires d’initiation ou de chute…) un paysage politique précis et référencé, et une peinture de caractères souvent féroce, c’est un équilibre subtil qui rend l’œuvre si intemporelle. Faire l’expérience de l’écriture flaubertienne, c’est entrer dans un monde où l’on est profondément bouleversé par l’acuité du récit et ce qu’il faut bien appeler la beauté stupéfiante de l’écriture… Flaubert façonne ses phrases, pèse ses mots, travaille ses rythmes au gueuloir sans relâche, et l’impact de cette tension esthétique, nous le ressentons encore aujourd’hui. Je pense qu’il est important de savoir se confier, confier plusieurs jours, plusieurs semaines de sa vie, à la pensée et à l’art d’un tel écrivain : on en sort changé·e et cela permet de vivre différemment le quotidien au sein duquel nous sommes entraîné·e·s. Alors, d’autres mondes bruissent en nous, ses descriptions de la nature printanière nous émeuvent, tout comme sa Félicité dans Un cœur simple, cela réveille en nous la part de tendresse inexorable, tandis que son ironie nous donne des armes contre les idées reçues, la stupidité d’État, les vils réflexes qui s’illusionnent nobles sentiments ; je crains que nous n’en ayons fort besoin.

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