Laure Limongi
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liberté d’« importuner » le lecteur & la lectrice

laurelimongi

Posted on 15 janvier 2018

… mais seulement dans les livres.

 

Je n’ai aucune intention d’ajouter du bruit sur du bruit sur du bruit… Nous n’avons pas besoin de davantage de rumeur. La tribune des cent signataires du Monde parue le 8 janvier 2018 m’a profondément navrée à bien des égards tout comme les réactions postérieures de certaines signataires ont provoqué une nausée durable ; inutile de commenter, ça a largement été fait. Ainsi que l’analyse politique des soubassements idéologiques de ce texte. Et j’ai déjà évoqué les questions sociales liées au harcèlement sexuel ici ou là – si ma position en la matière n’était pas connue.

 

L’un des problèmes, problème capital, selon moi, c’est que le bourbier créé par l’extrême maladresse et le mélange anarchique des arguments déployés dans cette tribune – des éléments de nature différente : espace social, espace artistique –, cache un aspect important : la question de la liberté de la création. Je sais que c’était la motivation de certaines signataires, motivation qu’en l’occurrence, je partage : mettre en garde contre la censure qui mène toujours aux extrêmes, comme on le sait – ou l’on est censé le savoir.

 

Histoiredeloeil_Bataille

On assiste en effet à une étrange confusion entre fiction et réalité. Est-ce une conséquence de l’omniprésence des écrans qui floutent les frontières ? des journées passées sur Facebook, Twitter and co qui feraient oublier ce genre de distinctions ? de l’impossibilité à dissocier matraquage publicitaire et œuvres de l’esprit ? des fakes presidents qui critiquent des fakes news ?… Je serais bien en peine d’en discerner les causes mais on ne peut que constater cette confusion, à travers l’anathème lancé dernièrement sur certaines œuvres.

 

On peut appeler de ses vœux une société plus juste et réaliser un film dépeignant une société inégalitaire dans lequel telle ou telle minorité est persécutée. On peut être féministe et écrire un livre dont l’histoire est misogyne. On peut respecter l’intégrité des personnes et écrire d’atroces scènes de viol. On peut dessiner des petites filles ou des petits garçons torturés, avec trois têtes ou pas. On peut créer des personnages de meurtriers sanguinaires, de tyrans… tout comme on peut écrire une histoire qui se passe en 3648 ou sur Mars… La fiction est souveraine. Elle n’est pas publicité ; elle n’est pas une injonction à l’imitation. La fiction peut choquer, provoquer des cauchemars, commotionner.

 

Je dirais même plus : elle le doit. Il est essentiel que la création, tout comme la pensée, explore ce qu’il y a de plus cru, sombre, scabreux, de plus révoltant dans la nature humaine. Pas seulement ça, bien sûr ; mais ça aussi. L’enfilage niais de bons sentiments vendus au kilomètre et au bon prix ne fera pas naître une bonne société. Fermer les yeux sur ce dont nous sommes capables, en tant qu’espèce, en tant que communautés, ne le fait pas disparaître, bien au contraire. Nul sac magique de Mary Poppins dans notre réalité – il n’existe que sous la plume de la romancière Pamela L. Travers, dans le film de Robert Stevenson et nos imaginaires. La lâcheté de l’illusion ne nous transforme pas en êtres purs manifestant la puissance du bien – en opposition à un mal que nous ne savons plus définir. On ne va pas ressortir les classiques – et justes – arguments du renversement carnavalesque ni l’histoire du retour du refoulé… mais il est évident que l’art a, aussi, de surcroît, cette fonction d’exutoire, de borne critique.

 

(La question des créateurs et créatrices qui se rendraient coupables d’actes répréhensibles est différente. Ce sont des citoyens et citoyennes, leurs actes répréhensibles doivent donc être jugés par notre système judiciaire. Tout le monde à égalité. Décider que parce qu’ils et elles sont artistes leur public peut se transformer en juges les place et nous place dans une logique de vengeance peu compatible avec la société civilisée qui est supposée être la nôtre…)

 

Mettre en place une police de la création en parallèle des avancées pour l’égalité est donc, à mon sens, antinomique et d’une absurdité coupable. Non, les personnages de Balthus, le final de Carmen… n’ont pas à être censurés sous prétexte que cela inciterait à je ne sais quelles ignominies.

 

SADE_ManRay_BasseDef

Man Ray, Portrait imaginaire de D.A.F. de Sade, 1938.

Pour ma part, j’ai lu les œuvres intégrales de Sade, Georges Bataille, Pierre Klossowski, Shozo Numa, Rabelais… je lis Kathy Acker, Peter Sotos, José Agrippino de Paula, Dennis Cooper, William S. Burroughs… et cela ne m’a pas lancée dans une carrière de prédatrice sexuelle dénuée de scrupules… mieux, je connais bien des gens qui font cette même expérience. Cela ne veut donc pas dire que j’attends d’être fouettée par Dolmancé entre la gare de l’Est et la gare du Nord, que j’ai envie d’attacher les Roberte à des bornes Vélib’, de torturer des jeunes filles, d’en transformer d’autres en chaises ou de mettre un testicule de taureau dans mon vagin… Ces livres sont des monuments de beauté, de pensée, de liberté, d’excès. Ils m’ont permis de découvrir des univers littéraires magistraux et de forger ma propre langue. Mais aussi de cerner les contours de l’humanité, de construire mon propre rapport à la morale, d’affuter mon sens critique.

 

Dans Vie et opinion de Tristram Shandy de Laurence Sterne, il y a un passage, chapitre XXIII du premier volume, dans lequel le narrateur imagine une « pure billevesée », un monde dans lequel la poitrine humaine serait munie d’une vitre, l’on pourrait alors « observer les mouvements [de l’âme] — noter ses mécanisme apparents, percer les secrets de sa machinerie, déjouer ses machinations, — voir naître ses vers-coquins, suivre pas à pas la genèse de ses turlutaines, assister à la formation de ses papillons et autres petites lubies butinantes et frivoles […] — épier ses trémoussements, ses ébats, ses frétillements de ribaude déchaînée, ses capriciosos les plus capricants […] — il ne resterait plus à notre observateur qu’à prendre une plume et de l’encre, et à coucher très-exactement sur le papier tout ce qu’il a vu. » Oui, mais hélas, nos poitrines ne sont pas munies de vitres. « Nos esprits ne brillent point au travers de nos corps mais se tiennent bien chaudement emmitonnés dans de sombre couvertures opaques de chair et de sang*. » Et Laurence Sterne enchaîne sur un tour d’horizon ironique – et un peu scatologique – des tentatives littéraires pour saisir la nature humaine.

 

Penser qu’en lisant un livre de Sade les gens vont mettre en laisse les passants en leur demandant de manger leur caca, c’est leur dénier toute capacité de réflexion ; c’est donc profondément méprisant. Mais il faut dire que depuis quelque temps déjà, tout est fait pour étouffer la pensée et son apprentissage. Dans la société aliénée au capital qui est la nôtre – l’argent y est « la valeur sublime » comme l’écrirait Tarkos –, on veut être sûr de créer des consommateurs et consommatrices effréné·e·s dont le seul objectif est la capacité d’achat de produits, des citoyen·n·e·s dociles, terrifié·e·s à l’idée de remettre en cause les décisions du gouvernement. Bref, on est peu ou prou à quelques pages seulement du début de Farenheit 451…

 

Oui, en proclamant le danger social d’œuvres d’art, de fictions, la censure est justement en train de flouter les contours et de nous lancer en pleine dystopie. Mettre au pilori des œuvres fictionnelles comme on le ferait de criminels, c’est dans le même mouvement laisser à penser que ce qui est criminel, dans la vraie vie, est aussi de l’ordre du fictionnel, donc, dans une certaine mesure, relatif… C’est provoquer cette indistinction dangereuse.

 

À nous de réagir par la défense de la liberté de la création, la juste transmission de ces œuvres, par l’affirmation de la nécessité de la formation de la pensée critique. Une société plus juste se construit avec des citoyen·n·e·s conscient·e·s et pensant·e·s.

 

À celles et ceux qui auraient envie de me rétorquer « elle peut parler, elle, la culture, elle l’a », j’apprendrais ou rappellerais que ce n’est pas par reproduction sociale, cette culture – qui reste relative, lacunaire, en construction –, je me la suis forgée notamment grâce à notre système éducatif – j’en profite pour exprimer ma gratitude à mon maître hégélien Alain Lacroix, aux cours de Jean-Marie Gleize, à l’enseignement d’Éric Dayre… – et à une boulimie de lectures, sans tabous. C’est à la portée de toutes et tous ; enfin, tant que les œuvres ne sont pas interdites et que l’éducation est accessible… À nous de ménager la qualité de notre enseignement, de nous investir dans la transmission, de proclamer l’essentielle indocilité de la création.

 

Quelques jours avant les remous post « liberté d’importuner », j’avais partagé ce texte de L’Observatoire de la liberté de la création sur mon mur Facebook. Il me semble qu’il rappelle des éléments essentiels, je vous invite à le lire. Ne nous laissons pas avoir par la confusion et la division qui servent toujours les extrêmes… Il n’y a pas les vilaines féministes d’un côté, les vraies femmes de l’autre, et, derrière un rideau, planqués, tremblants, les pauvres hommes qui seraient détestés par les vilaines féministes et cajolés contre les seins des gentilles vraies femmes mamans et putains. Non, il y a des êtres humains embarqués dans le même navire qui, je l’espère, souhaitent faire évoluer les choses dans le sens d’un plus grand respect mutuel. Il y a aussi notre besoin de beauté, notre appétit d’histoires, d’images, de musiques… ce qui fait l’étrange spécificité de notre espèce si pragmatique, si rêveuse ; si prompte à la violence et si assoiffée de générosité, tout à la fois.

 

 

 

* Laurence Sterne, La Vie et les opinions de Tristram Shandy, traduit de l’anglais par Guy Jouvet, éditions Tristram, coll. « Souple », p. 116 à 118.

 

Illustration 1 : édition de 1967 de L’Histoire de l’œil de Georges Bataille chez Jean-Jacques Pauvert dans une maquette en forme d’étui rose frappé d’une vignette représentant un œil, conçue par Pierre Faucheux.

Illustration 2 : Man Ray, Portrait imaginaire de D.A.F. de Sade, 1938.

Catégories :Art, Livre, Médias, Texte critique

Tagged: censure, droit des femmes, féminisme, importuner, liberté, liberté de création

« Pas d’auteurs = pas de livres ! »

laurelimongi

Posted on 22 mars 2015

Photo © Frédéric Potet / Le Monde.

Photo © Frédéric Potet / Le Monde.

Hier, samedi 21 mars 2015, a eu lieu quelque chose d’inédit : la première manifestation d’écrivains au Salon du Livre de Paris. À l’appel du Conseil Permanent des Écrivains – dont fait notamment partie la Société des Gens de Lettres –, plusieurs centaines d’auteurs ont défilé dans la bonne humeur pour sensibiliser le grand public à la condition précaire de l’écrivain. La marche s’est terminée avec un discours de la présidente du CPE, Valentine Goby, que je reproduis en fin d’article.

 

« Pas d’auteurs = pas de livres », ça sonne comme une tautologie ; pourtant, cela n’a pas l’air évident pour tout le monde… l’écrivain peinant à faire entendre ses revendications légitimes, alors qu’il est la matière première du livre…

 

Eh oui, mes chers collègues, nous sommes bien les ouvriers de la chaîne.

Allons-nous continuer à taire la précarité croissante, déjà dramatique, sous prétexte de correspondre à une image d’Épinal, comme des starlettes orgueilleuses ?

 

En France, on aime mettre l’écrivain sur un piédestal. Ça a l’air plutôt enviable, dit comme ça… Mais est-ce vraiment confortable, un piédestal ? N’est-ce pas le meilleur moyen de se casser une jambe ? (car il faudra bien en descendre…) Le marbre n’est-il pas un peu dur… et froid ? Est-ce conforme à la réalité d’un écrivain aujourd’hui ?

 

On garde l’image de l’écrivain publiant des livres comme les enfants naissent des roses et des choux, portant beau aux signatures, nimbé d’une aura de mystère quant à son existence d’être de chair. Il semble fait de la même matière que ses ouvrages, léger, évanescent, page fantasmée d’un hexagone qui confond souvent patrimoine et nostalgie.

 

Parler d’argent ? C’est considéré comme indécent, voire vulgaire. Les écrivains qui lisent ces lignes peuvent sans doute en témoigner. Gène à tâcher d’évoquer des négociations contractuelles, regard de mépris voire moqueries quand on cause rémunération… Ce n’est heureusement pas toujours comme ça ! mais ça l’est hélas souvent.

 

L’activité d’écriture paraît tellement chargée de désir et d’envie, comme si elle était en connexion avec une part irrationnelle et élue… que ceux qui la pratiquent semblent devoir faire acte de contrition en s’érigeant en martyres désincarnés.

 

(J’ai déjà parlé de la méfiance envers la transmission de la création littéraire qui procède des mêmes fantasmes étranges.)

 

Et puis demeure cette image de l’écrivain rentier, bourgeois, nanti. Du temps où seuls les bien nés pouvaient se targuer d’écrire… Mais les choses ont bien changé et depuis plusieurs générations, il faut s’en féliciter, il est des écrivains de toutes origines sociales. C’est d’ailleurs ce tournant historique qui avait présidé à la création de la SGDL en 1838 par une bande de jeunes écrivains : Honoré de Balzac, George Sand, Victor Hugo, et Alexandre Dumas père. Défendre les intérêts des écrivains en pleine mutation sociale.

 

J’ai deux scoops à dévoiler. Le Père Noël semblerait une invention aux origines multiples – et aux avatars de plus en plus mercantiles. Et l’écrivain travaille. Oui, il travaille. Il n’y a pas de muse en nuisette pour lui livrer ses pages au petit matin tandis qu’il ou elle fait la grasse matinée avant de déguster un arabica d’exception. En général, d’ailleurs, l’écrivain travaille ses textes tout en ayant également un autre travail, voire deux ; ou davantage. Il s’octroie peu de pauses. Peu de week-ends, peu de vacances ; voire pas. Son entourage a beaucoup de mérite ; et/ou fini par plier bagage. Le chômage progressant, l’écrivain a de plus en plus de mal à trouver des tâches rémunérées d’où angoisse, précarité… voire abandon temporaire ou définitif de son activité pour raison de survie. Voire parfois maladie, dépression, folie, isolement, suicide. Je suis désolée, ce n’est pas très agréable à lire ; mais c’est la réalité.

 

L’écrivain ne bénéficie d’aucun dispositif de type « intermittence ». Il est souvent « rémunéré plusieurs années après avoir commencé à écrire, ne perçoit ses droits qu’une fois par an et reçoit, sur l’œuvre qu’il a créée, la part la plus maigre de toute la chaîne éditoriale » – extrait du discours de Valentine Goby que je vous invite à lire en totalité ci-dessous.

 

Inutile, j’imagine, de rappeler la période économique que nous traversons… L’écrivain est en très grand danger. Il est de notre responsabilité de le faire savoir. Et il importe à chacun d’agir en conséquence, selon ses convictions.

 

Parmi les choses qui m’ont touchée, hier, outre l’extrême énergie et bienveillance souriante qui se dégageait de ce cortège inédit, c’est le fait qu’on sorte des oppositions binaires et stériles entre écrivains et reste du monde. Vincent Monadé, le directeur du Centre National du Livre défilait derrière la bannière du CPE. Et nombre d’éditeurs, libraires, bibliothécaires ont conscience du fait que – pour poursuivre ma tendance dominicale à l’image… – nous sommes tous dans le même bateau en ces temps de tempête ; et que nous avons donc tout intérêt à tous ramer dans le même sens…

 

Pour ma part, je suis écrivain et éditeur – et puis professeur de création littéraire, aussi. Pour ne parler que des deux premières que je pratique depuis plus de quinze ans, j’ai toujours considéré ces activités d’un même mouvement. Créer et donner à lire. Initier des collectifs. Se nourrir de l’énergie collective pour mieux en offrir les fruits aux lecteurs. Il est vrai que je parle ainsi d’esthétique, de pensée, de vie ; pas de marché. Il n’empêche : concilier les impératifs de l’éditeur et ceux de l’écrivain est non seulement possible mais nécessaire ; vital.

 

Écrire est donc un travail. C’est aussi une étrange manière de considérer le temps. On écrit dans le laps de sa propre vie. Écrire un livre prend un temps défini. Pourtant, ces objets de signes nous survivrons. On ne sait qui les lira. S’ils seront oubliés ou au contraire portés aux nues. Qu’importe. Ils demeureront. J’y pense toujours avec émotion quand mes yeux parcourent des textes antiques. Ovide n’a sans doute pas imaginé que je pourrai le lire un jour ; pourtant, je me sens terriblement proche de lui et il fait partie des écrivains qui modèlent ma vision du monde ; qui font que je goûte la saveur des choses. S’unir pour défendre le statut de l’auteur, c’est être cohérent avec cette étrange temporalité. C’est permettre aux futures générations de vivre décemment en écrivant. C’est donner un futur de qualité à l’écriture, à la pensée.

 

C’est aussi réinvestir la question de la VALEUR. Dans le monde ultralibéral dans lequel nous vivons, au capitalisme forcené, les très très riches tentent de nous vendre à longueur de journée les produits très très futiles qu’ils vendent très très cher pour mieux nous asservir, tout en dépréciant les outils de notre possible liberté : les livres, la musique, l’art… Ayons l’intelligence de lire clairement ces stratégies. La liberté de chacun passe par la prise en compte du fait que la culture n’est pas un consommable comme un autre. Il faut savoir la chérir sans la pétrifier, défendre ses forces vives, protéger son futur. Décider que la création a une valeur.

 

Alors, auteurs, unissons-nous !

Rejoignez, par exemple, la SGDL. Soyons souverains ! soyons généreux ! soyons dignes, ensemble.

 

Lecteurs, soutenez-nous !

Nous sommes l’esprit derrière les phrases ; l’imagination qui nourrit le suspense ; la bouche formant le trait d’humour qui vous fait rire aux éclats ; la chair émue qui fait couler vos larmes ; la main qui guide la vôtre jusqu’à l’épilogue ; la mélancolie qui fait résonner la vôtre ; l’amour qui attend de vous accueillir, à travers le temps et l’espace, par la magie des signes inscrits sur papiers et écrans…

 

Nous sommes le corps qui a créé les livres qui font battre votre cœur.

 

 

*

 

 

Discours prononcé par Valentine Goby, présidente du CPE, le 21 mars 2015 au Salon du Livre de Paris :

 

« Bonjour à tous et à toutes,

 

Mardi 17 mars, le Conseil permanent des Écrivains a publié dans la presse une “lettre ouverte à ceux qui oublient qu’il faut des auteurs pour faire des livres”, afin d’alerter l’opinion sur la condition des auteurs de l’écrit, et principalement :

– La faiblesse des revenus ;

– l’inquiétude concernant les réformes sociales ;

– la fragilisation du droit d’auteur en Europe.

 

Pour la première fois, s’unissent tous les auteurs du livre, tous secteurs éditoriaux confondus, et toutes les associations, syndicats et sociétés qui les représentent.

C’est une première historique au salon du livre, qui démontre une solidarité extraordinaire. Nous sommes heureux que cette lettre ouverte ait recueilli plus de 1740 signatures d’auteurs, et que d’autres secteurs de la chaîne du livre, en particulier des libraires, des bibliothécaires, mais aussi des éditeurs, aient souhaité également s’y associer.

 

Réjouissons-nous que cette lettre réunisse des auteurs à succès, des lauréats de grands prix nationaux et internationaux, et des membres du jury de prestigieux prix littéraires : l’intérêt personnel ne peut être la motivation de l’engagement, d’aucun engagement collectif, sous peine de confier aux seuls plus précaires la défense de leur dignité.

 

Mais revenons sur les points fondamentaux de cette lettre ouverte :

Des revenus à la baisse, des réformes sociales préoccupantes, un droit d’auteur fragilisé par la politique européenne… Les auteurs de livres sont clairement en danger. Et à travers eux, c’est la création éditoriale qui est menacée, dans sa liberté et dans sa diversité.

 

1/ Évoquons les revenus de l’auteur :

Pourquoi l’auteur reçoit-il la part la plus maigre ?

 

En 2015, les deux tiers des auteurs de livres perçoivent pour l’édition imprimée moins de 10 % de droits d’auteur sur le prix public de vente des livres. Pire : un auteur sur cinq est rémunéré à un taux inférieur à 5 %, en particulier en littérature pour la jeunesse. Ni salarié ni travailleur indépendant, l’auteur, qui ne dispose d’aucun outil de contrôle à l’égard de la maison d’édition :

– est souvent rémunéré plusieurs années après avoir commencé à écrire,

– ne perçoit ses droits qu’une fois par an,

– et reçoit, sur l’œuvre qu’il a créée, la part la plus maigre de toute la chaîne éditoriale.

 

Rappelons-le, la moyenne des droits perçus par l’auteur est d’1 € par livre vendu, à peine le prix d’une baguette. Il est urgent que soit rééquilibré le partage de la valeur au profit des auteurs, sans lesquels évidemment les livres n’existeraient pas. Face à la stagnation du chiffre d’affaires de l’édition, on peut se demander si l’augmentation considérable du nombre de publications est la meilleure stratégie. Avec 200 nouveaux titres publiés par jour (dimanche compris), comment les éditeurs d’abord, puis les libraires, peuvent-ils défendre les œuvres ? Comment le lecteur peut-il faire son chemin ? Comment les auteurs peuvent-ils vivre de leur métier ? La surproduction est autre chose que la diversité.

 

Par ailleurs, dans une économie numérique en plein devenir les droits d’auteur ne doivent pas servir de variable d’ajustement. Il est essentiel que les marges dégagées fassent l’objet d’un nouveau partage : il convient a minima que toute baisse de prix de vente soit compensée par une augmentation des taux de rémunération.

 

Il est important également que la réforme du statut social des auteurs ne nous prive pas de la possibilité d’être rémunérés en droits d’auteur pour nos activités accessoires, qui sont devenues souvent essentielles (ateliers d’écriture, interventions sur les salons et dans les écoles, les prisons, les bibliothèques…). Nous soutenons évidemment la démarche du Centre national du livre pour que les auteurs soient systématiquement rémunérés pour leurs interventions lors de toute manifestation littéraire.

 

 

2/ Deuxième sujet de préoccupation : la protection sociale des auteurs.

 

Pourquoi seul l’auteur ferait-il les frais de toute réforme ?

 

Les projets actuels de réformes simultanées de la sécurité sociale et de la retraite des auteurs, ont créé des inquiétudes. Il faut qu’une concertation large et ouverte permette de rassurer les auteurs sur les droits qui en résulteront et de respecter la diversité des activités, des pratiques et des modes de rémunération. Notamment, il importe qu’une réforme d’ensemble des cotisations sociales n’aboutisse pas à une baisse brutale des revenus des auteurs.

 

Ainsi, nous demandons que la mise en œuvre de la réforme du RAAP, la retraite complémentaire des auteurs, puisse se faire progressivement, afin de laisser la possibilité d’en mesurer les effets dans le temps, à la fois sur les revenus des auteurs et sur les droits qu’ils acquièrent.

 

De même, d’autres pistes de financement pour la protection sociale des auteurs de livres peuvent être étudiées : un prélèvement sur les ventes relatives au domaine public du livre ou sur le marché du livre d’occasion par exemple. L’auteur ne doit pas systématiquement faire les frais d’un manque d’imagination en la matière.

 

3/ Enfin, la menace européenne sur le droit d’auteur.

 

À qui profite le crime ?

 

Le droit d’auteur constitue le principe essentiel de la protection des œuvres et celui d’une rémunération juste des auteurs. Il est la condition indispensable d’une création libre, indépendante et diversifiée.

 

Les risques les plus importants d’une déstabilisation de notre législation viennent de l’actuelle orientation des institutions européennes, dont les objectifs sont incompatibles avec les spécificités économiques et culturelles de chaque pays. En particulier, les récentes propositions du rapport Reda, visant à étendre le nombre ou le périmètre des exceptions et limitations au droit d’auteur, sont alarmantes.

 

La stratégie communautaire devrait au contraire favoriser le développement dans l’univers numérique de nouveaux modèles et de nouveaux usages, qui respectent les légitimes attentes des publics sans toutefois sacrifier le droit d’auteur. L’absence d’interopérabilité technique constitue le véritable frein à la diffusion des œuvres et à leur accès par le plus grand nombre. Surtout, nous nous inquiétons de l’absence totale de responsabilité des grands acteurs d’internet face au développement du piratage des livres.

 

Sans parler de la décision absurde de l’Europe, d’obliger la France à relever le taux de TVA sur le livre numérique de 5,5 à 20 %, avec des conséquences négatives pour tous, y compris pour les lecteurs. Le livre numérique est un livre.

 

Une étude du Centre national de Livre vient de mettre en valeur l’attachement des français à la lecture de livres.

À force de mettre les auteurs en danger, le livre est en péril.

 

Pas d’auteurs, pas de livres ! »

Catégories :Art, Livre

Tagged: écrivain, CNL, CPE, droit d'auteur, SGDL, statut social de l'écrivain

Un commentaire

Bastia > Arromanches [déplacements #2]

laurelimongi

Posted on 2 mars 2014

Deux coquillages, ramassés le 25 février 2014 sur la plage de La Marana, près de Bastia (Corse), sont déposés quatre jours plus tard, samedi 1er mars sur celle d’Arromanches (Calvados) à marée basse, non loin du ponton 449 et de la Villa La Brugère.

Bastia-Arromanches 1

Amitié, sel, souvenir.

Bastia-Arromanches 2 https://laurelimongi.files.wordpress.com/2014/03/grandemaree_arromanches_020314.m4a

[série déplacements]

Catégories :Art

Julietta Lumi [déplacements #1]

laurelimongi

Posted on 2 mars 2014

Octobre 2013, je passe trois jours à la « Maison des profs » de Cambrai, le logement de fonction réservé aux professeurs de l’école supérieure d’art résidant en dehors de la ville et aux intervenants extérieurs. Je suis la seule habitante des lieux ces quelques jours. J’ai donc tout le loisir d’observer mon environnement. La façade est avenante, petite maison carrée, en briques, de conte ou de vacances, cernée d’un modeste jardin sympathiquement en friche. L’intérieur est très coloré, comme un jeu d’éveil, avec un sol en lino. Malgré la relative agression visuelle née de la collision téméraire des couleurs, l’enchaînement des pièces est agréable. La sérénité de l’architecture prend le pas sur les revêtements. Je souris en voyant que les habitués – vraisemblablement – ont un bol Cambier personnalisé. Des prénoms qui s’empilent dans le vaisselier. J’en connais certains ; je m’interroge sur les autres. Puis je me rends compte que toutes les pièces – dont les chambres – sont éclairées au néon, ou plutôt aux tubes fluorescents, émettant cette lumière blafarde caractéristique de salle de classe en hiver. Il fait nuit quand j’habite la maison, avant ou après la journée à l’école, la lumière des tubes fluorescents fait sa loi. J’ai du mal à lui échapper. Elle dit que l’espace est public malgré sa fermeture sur la rue. Elle donne envie de chercher à l’amadouer. De la provoquer. De traverser les pièces en dansant – ou tout autre aimable usage imprévu. Ou encore de creuser le fil d’histoires initié par les bols Cambier.

Lors d’un autre déplacement professionnel à Cambrai deux mois plus tard, je dépose donc un bol Cambier marqué du prénom « Julietta » dans la pile de bols des habitants occasionnels de la maison. Au dos du bol, à l’endroit de la signature, j’inscris discrètement une adresse e-mail : juliettalumi@gmail.com Lui écrire permet de recevoir un texte inédit. J’envoie aussi 21 enveloppes rouges énigmatiques contenant la carte de visite de Julietta Lumi ainsi qu’une photo des bols dans la maison.

Julietta Lumi Julietta Lumi 2

[série déplacements]

Catégories :Art

« Création littéraire » — mise au point

laurelimongi

Posted on 22 avril 2013

« Création littéraire » est une expression qui fait causer en ce moment. Pourtant, elle semble plutôt anodine. Ce n’est pas comme « procréation médicalement assistée », « vote des étrangers » ou « gaz de schiste ». Mais c’est tout de même explosif. Assez pour qu’un magazine qui aime bien mettre le poète Michel Houellebecq en couverture en cause. Sous un angle qui nous a décidé à développer notre point de vue – différent, vous l’aurez compris – ici. Puisqu’un texte rédigé vaut forcément mieux qu’un propos sorti de son contexte et déformé, voici quelques (premières) réflexions concernant la création littéraire.

 

Importé des univers anglo-saxons avec des dizaines d’années de retard, le « creative writing » débarque donc en France comme le chewing-gum ou les pattes d’eph en leur temps, créant ce mélange d’enthousiasme et d’agressivité propre à notre beau pays : les uns l’adorent avec ferveur, les autres l’exècrent et se sentent attaqués dans leur pré carré. Il convient sans doute de dépassionner le débat et de tenter des définitions.

Là où le bât blesse pour certains, c’est que la « création littéraire » entend devenir une discipline comme une autre, tout du moins dans les écoles d’art – où j’ai été amenée à l’enseigner dans le cadre de workshops, notamment dans le master cohabilité par l’UFR Lettres & Sciences Humaines de l’Université du Havre et l’École Supérieure d’Art et Design Le Havre-Rouen. Je rappelle que dans les écoles d’art, on enseigne (entre autres) le dessin, la peinture, la sculpture, la musique, le cinéma, le graphisme, la photographie, la danse, la création numérique… Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas y enseigner l’écriture. ça voudrait dire que l’écrivain est un super-artiste directement connecté aux muses et n’ayant donc pas besoin d’exercer son art ? Hum. J’ai un scoop : l’écrivain travaille, comme tout le monde. Il a des modèles, il s’inspire de ses lectures, il cherche des sujets, il tente de développer un ou des styles, il met en place une recherche, une pensée, il « échoue encore », il « échoue mieux ».

Ma conception de l’écriture est ouvrière. Elle est un geste, une temporalité.

(Et faut-il rappeler la filiation étymologique d’« œuvre » à « ouvrier » ?)

Anne-Marie Albiach évoquant l’écriture : « Rien d’abstrait dans cette opération. Par exemple, quand je parle du poignet, c’est le poignet concret de l’écrivain, l’articulation qui permet d’écrire, avec la faiblesse et la force qu’elle comporte. »

Et on ne parle pas des paperolles de Proust, des ratures de Flaubert… de tous ces « horribles travailleurs ».

 

N’en déplaisent aux cercles germanopratins, il y a loin de la cuisse de Jupiter au quotidien de l’écrivain. Et sans doute dans cette méfiance teintée de mépris vis-à-vis de l’enseignement de la création littéraire doit-on discerner le désir suranné de préserver des mystères et des codes. Et bien sûr, la crainte de la nouveauté.

L’argument, c’est que l’écriture ne s’apprendrait pas.

Évidemment, pas plus que le reste, a-t-on envie de dire… ou tout autant…

Un autre argument avancé en parallèle (pourtant assez contradictoire), c’est que l’enseignement de la création littéraire formaterait les écrivains. Et de citer les États-Unis – encore !

Je pense qu’il y a confusion avec certains stages de scénario que je n’ai pas suivis – mes lecteurs pourront en témoigner – mais à ma connaissance justement créés pour aboutir à des univers formatés. Grosso modo : comment écrire Matrix ? Comment faire intervenir des éléments clefs au bon moment dans une histoire au fil narratif équilibré.

Quand Katherine Pancol part aux États-Unis suivre des cours de technique narrative et de scénario (elle racontait cela dans une émission de télé que j’avais vue il y a quelques années), elle y va pour créer son système romanesque basé sur la répétition (cf. ses titres animaliers et ses thématiques) ; pas dans l’espoir de devenir Lautréamont. (Son banquier l’approuve.)

Et puis, l’enseignement de la philosophie formate-t-il des philosophes ? l’enseignement de la sculpture formate-t-il les sculpteurs ? Est-ce que donner des outils formate ?

J’imagine qu’on fantasme l’enseignement de la création littéraire comme une accumulation de trucs et de recettes – d’où la crainte du formatage, sans doute – quand il s’agit (enfin, c’est tout du moins ma pratique) de créer une imprégnation littéraire, de ne pas se dispenser de cours magistraux concernant tel ou tel écrivain, de s’attacher à un suivi personnalisé. Bien sûr, il peut y avoir d’horribles façons de procéder. Caricaturales, autoritaires, normatives. Mais c’est le cas de toutes les disciplines, non ?

 

L’autre question qui revient, c’est : pourquoi maintenant ? C’est vrai, les États-Unis pratiquent le creative writing depuis le début du xxe, tant qu’on y était, on aurait pu attendre les années 2050… J’ai téléphoniquement avancé auprès du magazine suscité l’hypothèse selon laquelle cela répondrait à un besoin. En effet, mon expérience vis-à-vis de certains stagiaires de filière des métiers du livre tendrait à démontrer que le sabrage systématique des programmes en lettres finit par avoir les conséquences attendues. Vous avez dû le remarquer, les manuels de littérature au collège et lycée, c’est un peu comme le bikini ces cinquante dernières années : ça a tendance à sacrement rétrécir. Et puis, j’ai parlé de ma grand-mère paternelle, bourgeoise insulaire mais pas intellectuelle, ayant étudié jusqu’au bac, me semble-t-il, qui a toujours eu un style étonnant en griffonant la moindre carte postale et qui, à 85 ans passés, écrit toujours sans faute, restant la Balzac de la liste de course. Les autres personnes d’un certain âge que je connais ont également baigné dans la littérature classique, les humanités, appris des kilomètres de poésie… Je me souviens de Stéphane Hessel m’expliquant au Théâtre de la Commune lors du spectacle Fahrenheit 451 de David Géry (oui, d’après Ray Bradbury) en janvier dernier qu’il connaissait encore des centaines de vers, et qui a d’ailleurs récité ce soir-là « La Ballade des pendus » de François Villon… Mais trêve de digression, il ne s’agit pas de regretter un temps passé – nous, on a quand même le tweet et les lasagnes surgelées – ni de porter de jugement – mon neveu me bat à plate couture dans Angry Birds par exemple – mais plutôt d’émettre des propositions efficientes. J’ai donc osé cette hypothèse : ce n’est pas parce que l’exigence littéraire est moindre avant le bac que des élèves puis des étudiants ne ressentent pas l’envie de se tourner vers la littérature. Il semble naturel de leur donner les moyens de leurs ambitions.

 

Pour ma part, comme beaucoup d’écrivains, en ces temps reculés qu’étaient la fin des années 1990, j’ai fait des études de Lettres. Certes pas pour devenir écrivain (même si l’écriture était déjà présente)… Mais aimant les livres, on aboutissait et on aboutit encore souvent en études de lettres sans trop savoir où cela va mener. (Sauf quand les parents poussent de hauts cris et tentent de vous envoyer en pharmacie ou en compta en brandissant les chiffres du chômage et les articles sur les bac + 5 qui vendent du chabichou au marché de Dunkerque.) Je devais avoir des parents inconscients car j’ai fait des études de lettres, donc, et ça a été formidable, les classes préparatoires correspondant de surcroît fort bien à mon tempérament que quelques amis à la blague facile qualifient volontiers de germanique quant à la discipline, permettant de poursuivre une pluridisciplinarité très enrichissante. Il m’a été très utile et agréable d’étudier la philosophie encore trois ans après le bac, mais aussi l’histoire, la géographie, l’espagnol ; le latin et le grec, aussi, pendant un an… J’avais même cumulé avec une prépa Sciences-Po proposée les six premiers mois de l’année d’hypokhâgne. (Ces quelques lignes sont sponsorisées par Guronsan.) Cette pluridisciplinarité, forcément moins présente dans les études de lettres à la fac (sauf à multiplier les options ou à choisir un double cursus), on la retrouve dans l’enseignement des écoles d’art. Et lors de discussions avec des amis écrivains, j’ai souvent entendu dire qu’ils auraient aimé suivre ce genre de cursus s’ils en avaient eu connaissance, que cela leur aurait fait gagner du temps quant à leur pratique, etc. De plus jeunes générations d’écrivains (Thomas Braichet, Carla Demierre, Nelly Maurel…) proviennent d’ailleurs de formations artistiques. Dans ce contexte, il me semble qu’inclure la création littéraire aux enseignements des écoles d’art est fort logique et ne peut être que de bon augure. Et j’ajouterai qu’on a bien besoin de bonnes nouvelles dans le domaine de l’enseignement ! (Cf. notamment la circulaire récente sur la suppression du Capes de lettres classiques.)

 

Mais il faut enfoncer une porte ouverte immédiatement : de même que les écoles d’art ne prétendent pas « fabriquer » des artistes, l’enseignement de la création littéraire ne peut prétendre « fabriquer » des écrivains. Il s’agit de créer un environnement propice à l’épanouissement d’une pratique personnelle. De donner des pistes et faire profiter les étudiants d’une expérience, d’un parcours afin d’accompagner leur recherche.

Il est donc évident que l’enseignement de la création littéraire ne promet pas monts et merveilles et une mensualisation chez un gros éditeur. Être artiste, être écrivain, procède d’une décision personnelle, d’un engagement esthétique, ontologique, politique. Des formations accompagnent, donnent des pistes, excitent la curiosité, stimulent l’intellect… elles ne « créent » pas d’artistes ou d’écrivains.

La société dans laquelle nous évoluons ne semble pas privilégier l’exigence de la création. Les marchés de l’art et du livre sont de plus en plus difficiles, tout semble mener à la globalisation, au formatage des « produits ». Des démarches différentes continuent heureusement à exister mais elles demandent un investissement de la part des irréductibles et sont parfois menées dans la précarité. C’est pourquoi le développement des formations de création littéraire, dans ce contexte, me semble une bonne chose. Afin de préserver un espace d’exigence au sein duquel la recherche puisse s’épanouir en dehors de contraintes d’utilitarisme et de productivité. C’est aussi pourquoi il convient d’être prudent quant aux débouchés de ce type de formations. Il ne manquerait plus que tous les étudiants en création littéraire se sentent obligés de virer poètes maudits… Il y a tant de domaines – et c’est heureux – où un savoir artistique, des compétences rédactionnelles peuvent être requis…

Catégories :Art, Livre, Texte critique

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Contrat pour un corps

laurelimongi

Posted on 8 mars 2010

Il y a quelques jours, sur Facebook, Valery Poulet a posté le lien d’un billet fort intéressant sur Michel Journiac. Connaissant l’œuvre de cet artiste depuis une douzaine d’années – on en parlait beaucoup chez Al Dante à la fin des années 90 avec Vincent Labaume et Jean-Luc Moulène, intarissables sur le sujet ; Al Dante avait d’ailleurs publié à l’époque Le Tombeau de Michel Journiac [1] – l’aimant passionnément, j’avais l’impression que tout le monde avait conscience de son importance mais ce n’est apparemment pas le cas. Il est mort jeune – en 1995, à l’âge de soixante ans – laissant derrière lui en majorité des œuvres de performance, donc – pour parler le langage des marchands – peu commerciales. Ceci expliquerait cela.

Il est l’un des créateurs – certains disent le créateur, mais je ne suis pas historienne de l’art – de l’art corporel, le corps étant pour lui le médium principal, dans un rapport toujours violent aux codes sociaux, « une viande consciente socialisée ». Un corps plastique, un corps travesti, révélant les codes et les regards : « il n’y a pas de corps existant de façon absolue. Celui-ci est lié à toute une série de contextes, d’objets, vêtements, etc. À partir de là, je pense toute la question de mon travail. »[2]

Selon Julia Hountou [3], « D’Hommage à Freud (mars 1972) à Piège pour un travesti (juin 1972) en passant par L’inceste (mars 1975) et 24 heures de la vie d’une femme ordinaire (novembre 1974), l’artiste manie l’hyperbole, à partir de détails (maquillage, parure, déguisement, geste, scénographie) selon différentes graduations qui vont d’une imitation discrète qui témoigne d’une retenue, d’une sobriété, à une exagération parodique. Journiac oscille entre le pastiche et la caricature. Son style parodique évolue en fonction du degré de transformation de son référent. La ressemblance tend à devenir de moins en moins prééminente, alors que la distance conçue par la satire dans l’appréhension ludique de la réalité augmente. »

Parmi mes œuvres préférées, l’Hommage à Freud, où Michel Journiac demande à ses parents, Robert et Renée, de poser, sans apprêt particulier, dans leur tenue ordinaire, pour ensuite s’habiller de leurs vêtements et se fondre dans le miroir de la ressemblance génétique.

Et 24 heures dans la vie d’une femme ordinaire où Michel Journiac mime la vie de la petite-bourgeoise, d’une fade banalité. Manifeste éminemment féministe, ou plutôt, humaniste. « Je n’avais pas la prétention en m’habillant en femme pendant 24 heures de mettre à nu toute la complexité de la condition féminine. Je voulais plutôt illustrer un certain nombre de situations, les expérimenter avec mon propre corps, amener le public à se poser des questions, montrer aux femmes combien elles sont piégées et aux hommes, ce qu’ils peuvent faire d’une femme. » [4]

—————————————————————
Notes
[1]
Tombeau de Michel Journiac, paru en 1998 chez Al Dante, texte de Vincent Labaume (éloge funèbre à Michel Journiac écrit par Vincent Labaume et prononcé à l’église Notre-Dame de la Garde en 1995) et portrait mortuaire executé par Jean-Luc Moulène chez l’artiste. Ce livre est aujourd’hui introuvable, mais si vous voulez essayer : ISBN 978-2911073182
[2] « Dix questions sur l’art corporel et l’art sociologique » : débat entre Hervé Fischer, Michel Journiac, Gina Pane et Jean-Paul Thénot, Paris, 18 novembre 1973 :
Artitudes International n° 6/8, décembre 1973 – mars 1974, p. 5.
[3] Julia Hountou, article publié dans
Art Présence, n° 39, juillet-août-septembre 2001, p. 2-15, repris sur le site Exporevue.org
[4] Entretien avec Michel Journiac,
Marie-Claire, 1973-1974.

Consulter également le site consacré à Michel Journiac.

Lire : Michel Journiac par Vincent Labaume (paru à l’occasion d’une exposition au musée de Strasbourg, collectif comprenant également des textes de Fabrice Hergott, Emmanuel Guigon, Arnaud Labelle-Rojoux…), éditions des Musées de Strasbourg-École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, 2004, ISBN : 978-2840561422.

{Toutes les photos © Michel Journiac.}

 

Catégories :Archive, Art, Texte critique

Tagged: 24 heures dans la vie d'une femme ordinaire, art, art contemporain, body art, Hommage à Freud, installation, Jean-Luc Moulène, Julia Hountou, Michel Journiac, performance, photo, photographie, Piège pour un travesti, texte critique, The Birthday Party, Tombeau de Michel Journiac, Valery Poulet, Vincent Labaume

Common sense & luxury

laurelimongi

Posted on 26 juillet 2009

Je voulais écrire un texte sur l’exposition Planète Parr vue hier lorsque je suis tombée sur cet entretien vidéo avec Martin Parr qui me coupe l’herbe interprétative sous le pied surmené – ce qui tombe plutôt bien puisque j’ai plusieurs textes que j’aurais dû rendre il y a une semaine à écrire…

En parallèle à l’expo du Jeu de Paume et jusqu’au 29 juillet, la Galerie Kamel Mennour – 47, rue Saint-André des arts, 75006 Paris – expose la série « Playas ».

CHILE. Valparaiso, 2007.
© Martin Parr, Magnum (the artist and Kamel Mennour, Paris).


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