
J’ai déniché hier avec bonheur – je n’avais pas fait de mise à jour depuis un bon moment – la fonction « déclencheur à retardement » de l’appareil photo de l’iPhone et redécouvre ce geste avec bonheur, dix secondes fébriles et les supports toujours imparfaits. Se demander si on va avoir la tête coupée. Si on n’a pas fermé les yeux au mauvais moment. Se demander qui on regarde en fixant l’objectif. Être devant cet œil suspendu comme au bord du vide, scène immobile parmi le flux. C’est pour moi si loin des « selfies ». Presque opposé. Oui, il y a bien le même geste de se prendre en photo. Mais avec le déclencheur à retardement, la machine prend ses distances. Elle semble saluer ironiquement à chaque petit flash annonçant les secondes : « hey ! je t’ai bien eu ! ». On ne la tient plus, littéralement. Plus de geste de prise, plus de maîtrise. On la lâche comme une bouée, un fil de cosmonaute attaché à sa fusée, et on se déplace dans le monde, soudain terriblement conscient, intense, presque à vif, on s’y pose pour entendre « clac ! », quelque chose d’extrêmement vulnérable, d’extrêmement ouvert, aussi, dans le regard.
Et puis appuyer sur un déclencheur à retardement, c’est voir émerger dans le secret de sa mémoire les clichés de Denis Roche, et sans doute aussi des photos de famille – pour ma part, celle dite des « Lombardes » (id est, les femmes de la famille côté maternel) prise à La Ciotat au tout début des années 1980 qu’on a refait un bon paquet de fois tellement le fou rire qui lâchait les unes reprenait illico les autres…
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