Se faire un peu peur en vérifiant lesquels de ses « amis » déclarent « aimer » l’ancien comique au ridicule geste débandant dont on a marre d’entendre parler sur réseau social. En trouver 22 – oui, vingt-deux. S’interroger sur la part de pseudo esprit punk de certains (misère…) ; sur l’aveuglement naïf de la plupart qui pensent que leur bon plaisir – par exemple une bonne tranche de rigolade – a tous les droits ; sur l’absence de réflexion d’autres, se contentant d’un quotidien décérébrant teinté de petits moments soi-disant « anti-système » pour ne pas sombrer dans la dépression ; et puis sur l’électroencéphalogramme plat d’autres, encore, dénués de la moindre conscience de « vivre ensemble » – pour ne même pas évoquer une « conscience politique », on n’en est même plus là… Espérer vivement que certains ont cliqué par erreur – finalement, avec ces écrans tactiles, sait-on jamais.

Surprendre cette image mentale : des armées de singes lâchés en pleine rue avec des rasoirs. (Car l’image mentale oublie qu’à cause de ces fâcheux, on ne peut plus écrire « singe » ou bouffer une banane – plutôt verte, pour ma part, merci – tranquille. L’image mentale est comme ça : libre et pleine d’espoirs.) Est-ce que ce serait moins dangereux, ces hordes surexcitées à lames aiguisées ? Se souvenir de la façon dont on jugeait, sans aucune pitié, le cœur battant et la révolte à vif, les collabos, en France, quand on était gamin, quand on a découvert leur existence dans les livres d’histoire et les paroles des anciens. Comme le monde était binaire, alors, rassurant. On condamnait les collabos et aussi ceux qui n’avaient rien dit. Qui se contentaient de laisser faire. On les méprisait. On plissait un peu le regard, la bouche serrée, en y pensant. On se sentait tellement différent. On se promettait d’être pur, généreux, sans concessions. D’être les lendemains qui chantent après les blessures de l’Histoire. Ne pas avoir envie, aujourd’hui, de foutre les mains dans le cambouis. Oui. Soupirer. Estimer avoir d’autres choses à faire que de se plonger dans des dialogues de sourds, ayant pu mesurer à quel point la communication pouvait être un défi  – et tout particulièrement la communication de valeurs. Mais se demander comment ça va tourner, toute cette merde. Ce qu’il faut faire. Et selon le vent qui viendra (les premiers relents puent déjà pas mal, hélas), se demander comment on sera jugé dans trente ou cinquante ans, par des enfants au cœur altruiste, qui regardent l’horizon. Pour avoir observé le cirque, avoir détourné la tête des gros titres désespérants de bêtise, s’être réfugié dans un monde de pensée. Tous les petits accrocs à la dignité, mis bout à bout.

La réponse appartient à chacun, et pas aux décisions d’État. Tripoter la liberté d’expression ne changera rien à l’affaire – et pourrait s’avérer fort dangereux –, ce sont les peuples qui décident. L’État ne cesse d’infantiliser ses citoyens qu’il traite en enfants capricieux (et les manger-bouger, et les fumer-tu, et les attention-au-marchepied…) mais il faut le répéter : ce sont les peuples qui décident. Que chacun ait donc conscience de sa responsabilité.

Tâcher de chérir son courage et de se donner les moyens d’un monde dans lequel on aurait envie de vivre. La route est longue, mes amis. Commençons à marcher. Et inventons les étapes : paroles, actions, générosité, livres, discussions, poésie, lettres…

 

P.S. : 1) Un texte à lire de Jean-Noël Lafargue, « Justice subjonctive »

2) Au moment où j’écris ces lignes, je vois encensée une vidéo d’un ancien signataire du « manifeste des 343 salopards » – avant rétractation, donc… – tapant sur le méchant humoriste et tous les antisémites… en multipliant des gestes de sodomie (une merguez au bout du bras) avec un accent de Rebeu de banlieue. Est-il besoin de réfléchir beaucoup pour voir le problème ?… Et arrêtons de jouer avec la nourriture, par pitié…