Qu’on aime ou pas, qu’on fasse partie de ceux qui clament que « c’était bien mieux avant », qu’on aie des critiques à formuler, etc., je comprends difficilement comment on pourrait se réjouir de la disparition de Libération – à moins de souhaiter la disparition de la plupart des organes de presse de l’hexagone, parce que si on fait le compte de ce qui a changé en moins bien, euh… Je ne comprends d’ailleurs pas mieux comment on peut être impatient à l’idée de pouvoir aller siroter un café dégueulasse à 5 € plus une pâtisserie prétentieuse quelconque au quinoa violet de Papouasie qui en triple le prix sur la terrasse de laquelle on aura viré les journalistes, douché d’ondes wifi, arborant son MacBook pour mieux se gaver de réseau social. « Friands », « actifs », « mobiles » énonce le détournement de la Une des salariés d’hier. Je dirais plutôt un peu prompt à tomber dans les panneaux et/ou se jeter sur les carcasses…
Je le répète, il ne s’agit pour moi d’analyser la situation de Libé dans le détail, chacun ressortant ses petits ou grands griefs, ni de défendre sa ligne éditoriale. Mais d’évoquer le plan social qui y est en cours : c’est un grand classique du patronat. On laisse la situation pourrir pendant quelques années en divisant le plus qu’on peut les troupes… puis on arrive avec un plan comm’ bien ficelé pour virer un maximum de gens, récupérer un espace rentable pour y foutre des touristes et se mettre l’opinion publique – dont la majorité ne sera pas solidaire avec les salariés après des années de batailles internes exhibées – dans la poche. Avec un bon gros pactole.
Les dindons de cette farce funeste, c’est eux, les journalistes ; et c’est nous, les lecteurs.
Car pour être lecteur… il faut être face à : du contenu.
On agite le numérique comme un cacheton de Viagra devant un vieillard… C’est bien beau, le numérique, on adore. Mais le numérique, c’est : un support.
Information = contenu.
Papier, numérique, etc. = supports.
À Libération travaillent : des journalistes.
Le problème excède largement le cas de ce journal. Regardez autour de vous. Tout se transforme en espace de divertissement, tantôt muséifié, tantôt technoïde pour touriste à traire ou désœuvré fortuné. Sous prétexte de guerre de supports (guerre absurde s’il en est), on fait avaler plan social sur plan social, la baisse de l’offre en matière de pensée allant de paire avec une domination croissante des masses : quand on n’a plus de choix, on becte sans même s’en rendre compte les préceptes du pouvoir.
Après Libé restaurant, pourquoi ne pas convertir une usine désaffectée en Spa ? Tout autour, les ouvriers se pendent mais le massage à la spiruline est nickel. Ya même un accès Internet, dis donc.
Le problème c’est comment on traite ses travailleurs. Les citoyens.
La dignité.