Magritte

 

On pose souvent la question du rapport à l’autobiographie. Question légitime dans ce type de contexte. Question qui surgit dès qu’un personnage s’exprime à la première personne du singulier. Je répondrai par la phrase de Danielle Mémoire citée en exergue d’Anomalie des zones profondes du cerveau :

 

« La première personne me plaît, notait-elle. Je n’éprouve pas le besoin de l’être. »

Danielle Mémoire, Prunus Spinoza.

 

Ou encore, Annie Ernaux :

« Le “Je” que j’utilise me semble une forme impersonnelle, à peine sexuée, quelquefois même plus une parole de “l’autre” qu’une parole de “moi” : une forme transpersonnelle en somme. Il ne constitue pas un moyen de m’autofictionner, mais de saisir, dans mon expérience, les signes d’une réalité. »

Annie Ernaux, « Vers un Je transpersonnel », Recherches interdisciplinaires sur les textes modernes n°6, Université Paris X, 1994.

 

Entendons-nous bien : je n’ai absolument rien contre l’autofiction et l’autobiographie et j’apprécie certains auteurs qui s’y adonnent. (Un livre que j’aime est un livre que j’aime qu’il soit d’aventure, d’autofiction, de poésie, de suspense… et quelle que soit la personne qui l’écrit). Seulement, si on parle d’intention de l’auteur, il ne me semble pas me situer dans cet espace. En tout cas jusqu’à présent.

 

La focale est pour moi légèrement déplacée ; pas grand-chose, une histoire d’axe un peu différent. Après, fort heureusement, la vision de l’auteur sur son propre texte n’en épuise pas les enjeux et le lecteur est libre de son interprétation. J’y réponds quand on me pose la question de l’autobiographie ou de l’autofiction mais je ne ressens pas le besoin de poser une définition sur ce que j’écris, d’après les cadres des genres. Dans le même ordre d’idée, tâcher de distinguer ce qui appartient à la narration de la tension poétique me plonge dans des abîmes de perplexité. (Je ne vous raconte pas comme c’est pratique quand il faut cocher des cases pour décrire son activité – en France, on adore ça, les cases à cocher et les étiquettes.)

 

Ce n’est que mon point de vue sur la question et selon ma propre logique, ce n’est donc pas l’essentiel… Cela ne veut pas dire que je me défile pour autant.

 

Pour moi, la matière biographique est vraiment cela : une matière. Elle est relevée, modifiée, montée, diffractée, malaxée comme le sont les autres matières. Elle est donc, en effet, aussi importante que les autres…

Elle est travaillée comme les mots sont choisis, comme le rythme des phrases dessine un trajet. Impossible, ensuite, de faire le tri. De pointer du doigt : « ça, c’est moi », « ça, c’est telle chose ». C’est, de toute façon, par définition, tout autre chose. Le processus d’écriture fait corps des diverses notes initiales, compose les accords qui forment le livre.

 

« Ce que nous nous appelons “je” n’est qu’une porte battante. »

Shunryu Suzuki

 

En revanche, l’intense présence d’un écrivain dans ses écrits, c’est une autre histoire. Elle est centrale, en terme d’engagement. Mais aussi de lien avec le lecteur. Et je ne pourrais mieux le formuler que Javier Cercas (entretien avec Franck-Olivier Laferrère) – même si je n’aurais sans doute pas utilisé la métaphore tauromachique qui est, bien sûr, fort parlante…