Melies_VoyageLune

Si on avait la possibilité d’aller poser son cul sur la Lune pour prendre un peu de recul, tiens, par exemple ce soir, parfait pour un vendredi soir, week-end gibbeux, tranquille, silencieux, regardant la courbure bleue animée de nuages, on se dirait sans doute : « Ah mais tiens, c’est cyclique, tout ça. »

 

… Massacres, charniers, intégrismes, ordre, émeutes, exécutions, Inquisition, accalmie, épuration, occupation, eugénisme, paix, viols, bombardements, torture, armistice…

 

Et apercevant notre petit îlot de confort de la taille d’une tête d’épingle si dérisoire, on pourrait se souvenir que l’immensité, tout autour, porte l’écho de tous ceux qui sont morts pour défendre des idées de liberté, d’égalité, de fraternité, de non violence, de respect de la vie en général, respect des animaux, respect de l’environnement. Oui, toutes ces étoiles et toute cette matière opaque dont on ne connaît pas la composition. Une longue, longue litanie de dignité et de courage.

 

Et comprendre – il faut un peu frisquet, là-haut, j’aurais dû prendre un châle – que notre rôle n’est pas simplement de profiter des acquis, de laisser le temps filer entre les doigts du capital, mais bien de défendre ces conquêtes généreuses, de ne cesser de se battre pour que l’espèce éminemment destructrice qui est la nôtre puis laisser s’épanouir son potentiel de bienveillance infinie.

 

Oui, en ce sens, l’amour est un combat. Et c’est le seul qui vaille la peine d’être mené.

 

Je sais, je sais… Certains trouveront l’assertion naïve, qu’importe. Il faut l’asséner avec force et conviction.

 

Quelques minutes après avoir appris la nouvelle, le 7 janvier 2015, je suis allée vomir un jet de bile. Parce que c’est ainsi que s’est exprimée ma colère – et que j’ai l’estomac un peu en vrac, certes. Parce que j’ai soudain senti l’odeur du sang mêlée à la poudre envahir la salle des profs de l’ESADHaR où nous avons vu les premières images. Parce que j’ai pensé à l’extrême droite en train de boire du petit lait dans le sang des victimes.

 

Tout cela est profondément écœurant.

 

On va en entendre, on va en lire des conneries – ça a déjà commencé. Et il faudra bien garder en tête que jamais la haine ne pourra vaincre la haine. Ce que nous devons préserver, c’est notre liberté d’être. D’être différent, impertinent, audacieux, de créer. Ne pas retomber dans la barbarie. Même si la Terre est ronde, on peut tâcher de faire en sorte que sa rotation polisse l’humanité, au lieu des servir les abîmes extrémistes.

 

Cette liberté, elle se protège avec tendresse et détermination. Loin des religions, qui doivent rester l’affaire de chacun, dans le giron de sa croyance, pas au-delà.

 

Pour les coupables, les assassins, il y aura la justice, nécessaire, fondamentale. Pas la vengeance aveugle.

 

La France est une société multiculturelle. C’est ainsi. Si ça ne plaît pas à certains, qu’ils inventent une machine à remonter le temps et retournent je ne sais quand, d’ailleurs, car l’histoire se construit du brassage des populations… L’avenir se fera dans le dialogue serein de toutes ces composantes et la recherche d’harmonie. Ici et ailleurs. Sinon ce sera le chaos, pour tous – oui, même pour toi, crétin de fasciste qui scie la branche sur laquelle tu as posé ton cul – tu aurais mieux fait de choisir la Lune, tiens, pour le coup – on ne souhaite pourtant l’obscurantisme à rien ni personne, même pas aux roches célestes…

 

Ce matin, je sens l’air entrer dans mes poumons avec une saveur particulière. La chance de pouvoir être et agir. Celle de pouvoir rire et continuer à rire. J’admire ceux qui déjà arrivent à rendre hommage à Charlie avec leurs ingrédients très sales blagues.

 

Garder le stylo à la main. Aligner les phrases, les livres. Porter les textes.

 

Vivre le jour d’après, encore, et puis tous les autres en refusant le joug.

 

En continuant à être obstiné, indocile, irrévérencieux.

 

Pour eux, pour nous.

 

Charb