Un hommage à Claire Guezengar a eu lieu les 28 et 29 mars. Une cérémonie religieuse, voulue par Claire, célébrée vendredi 28 mars par le père Jérôme Prigent à l’église Saint-Eustache. Puis une fête comme elle les aimait tant, chez Laura & Mark, avec très nombreux amis et des bulles. Et le lendemain, l’hommage de ses étudiants et collègues de l’école du paysage de Versailles, un pique-nique dans le Potager du Roi. Fabrice Reymond et moi avons écrit des textes que nous avons lus à l’église. Les personnes présentes m’ont demandé de les donner à lire. C’était un moment très intense et intime que je suis heureuse de partager avec ses lecteurs et tous ceux qui l’aimaient. Je mettrai en ligne le texte de Fabrice Reymond dans les jours qui viennent.


Claire,

 

Quand tu es entrée dans mon bureau ce jour de décembre 2006, c’était le soleil qui passait la porte. J’avais reçu, via Mark Alizart, le manuscrit de ton livre Ouestern et je souhaitais le publier. À vrai dire, Ouestern ne portait pas encore ce titre mais un autre que la bienséance m’interdit de prononcer dans ce lieu sacré mais que beaucoup ici connaissent. Ce livre, mettant en parallèle spoliation familiale traditionnelle et scène typique de film western avec élégance, est à la fois d’une grande audace et d’une grande douceur. La révolte de la jeunesse s’y mêle à la nostalgie naissante des vacances d’été, longues, iodées, pleines de lectures et de découvertes, que tu aimais tant. Le blé en herbe, les dunes, les frères et sœurs, les cousins, la plage.

 

J’ai tout de suite été frappée par ton rayonnement, l’adjectif « sympathique » qui prenait soudain un sens plein et entier, qui portait tes traits. On s’est mis à parler, parler, de sorte que je suis arrivée avec deux heures de retard au dîner littéraire auquel j’étais attendue.

J’ai eu du mal à m’en excuser.

 

J’avais vécu un tel moment. Découvrir que l’écrivain du livre que j’aimais était également une personne aimable – ce qui n’est pas toujours le cas.

Et j’ai découvert ensuite quel prix tu accordais à l’amitié, à quel point pour toi, ce lien était d’une importance cruciale.

 

Puis, tu as été touchée par le destin de Sœur Sourire. Je ne connaissais, comme la plupart des gens, que sa chanson ressassante devenue tube planétaire. Tu m’as révélé sa vie de rebelle et d’âme pure. Son extrême liberté, s’exprimant à travers sa foi. Sous ta plume, Sister Sourire est devenue rock star enfilant l’aube immaculée comme d’autres le mini short en strass et les résilles déchirés.

À travers ces premières étapes de ton œuvre, ceux qui te connaissent pouvaient retrouver certains traits de ta personnalité dans ton écriture : l’espièglerie, l’humour, le sens de la formule, l’élégance.

 

Et puis la maladie t’a frappée. Comme toutes les personnes présentes ici, et d’autres, qui te connaissent, j’ai considéré ça comme une injustice infâme. J’ai rarement vu autant de courage, de classe et de sens profond de la joie chez quelqu’un. Tu étais très pudique, mais on arrivait à rire ensemble des piqûres et des cathéters. On partageait des tribulations hospitalières. Tu as traversé l’épreuve comme une chevalier, foulard tartan au vent. Éternel sourire. Et nous, comme des cons, on t’a crue éternelle.

 

Ton livre Soins intensifs dandy évoque la maladie à travers les détours du dandysme. À mots, non point couverts, mais cryptés, par générosité. Tu ne dis pas le pathos. Tu ne te complais pas dans le négatif, ni la plainte. Au contraire. Tu touches à l’universel non pas à travers la souffrance mais une expérience intense de dignité. L’acceptation souriante, droite, élevée, de la condition humaine.

Je savais que tu étais en train de penser à l’élaboration d’un nouveau livre.

 

Et puis une nuit, dès que j’ai vu le nom de Fabrice s’afficher sur mon téléphone, j’ai compris.

 

Tu nous as offert un dernier moment comme tu savais les inventer. Un étrange périple débouchant pas si loin mais pourtant si loin en même temps, dans ce Finistère que je découvrais pour la première fois. Cette terre que tu adorais, dont tu m’as parlé tant de fois. Cette terre que tu portais en toi, dans ton amour pour l’absolu et l’éclat de ton regard. Il a fallu traverser la mer pour te retrouver, sur l’île de Batz, au large de Roscoff. L’émotion intense du paysage, de l’air, de l’eau, de tous ces cœurs présents, saignant ton absence. Ta magnifique famille soudée. Tous ces visages d’amis.

 

Tu reposes dans un petit cimetière avec vue sur la mer, tout près du jardin Georges Delaselle que tu aimais tant. À côté de ta tombe, une porte un peu clandestine ouvre sur la campagne, t’invitant à prendre des chemins de traverse que, je suis sûre, tu n’hésites pas à prendre. C’est tout toi.

 

Ton frère, Florent, a parlé d’un manuscrit évoquant, justement, les jardins, qui serait peut-être caché quelque part, dans l’île. Et je dois avouer avoir bien failli profiter de ma nuit sur place pour retourner tous les pots de fleurs du lieu, ravager les massifs à la recherche de ce trésor.

Car ce sont tes mots qui nous restent à présent. Tes livres. Compte sur moi, compte sur nous pour les lire, les relire, les donner à lire.

 

Claire, il me faut aujourd’hui porter une parole d’apaisement mais il est si dur de le faire.

 

Chaque rayon de soleil me rappelle que tu ne le vois pas.

Des bouffées de chagrin immense déboulent n’importe quand.

Je sais que c’est le cas de tous ceux qui sont réunis ici aujourd’hui, pour évoquer ta mémoire.

Le scandale de savoir que tu n’écriras plus de livre aussi.

 

Claire, comment faire ?

Comment être digne de ta force et de ton espérance.

 

Peut-être,

Laisser ton sourire transparaître dans chaque moment de joie.

Avoir confiance. Une confiance aveugle. Tâcher de la trouver.

 

Faire comme l’héroïne de ton Ouestern et laisser sa colère se dissoudre dans la danse, prendre ton souvenir dans ses bras et le chérir avec douceur.

 

Claire l’épreuve est immense.

Puissions-nous être digne de ton amour et de ta grandeur.

Laure Limongi, église Saint-Eustache, vendredi 28 mars 2014