
Sortie de la pièce de Pierre Henry Deux coups de sonnette dans la collection Signatures de France Culture. Avec des images et des textes inédits.
Sortie de la pièce de Pierre Henry Deux coups de sonnette dans la collection Signatures de France Culture. Avec des images et des textes inédits.
Il y a quelques mois paraissait le Journal de mes sons de Pierre Henry, dont le texte – un montage du texte – lui a servi à créer l’œuvre « Deux coups de sonnette » qui sera diffusée le dimanche 4 décembre prochain à 22h30 sur France Culture.
Journal de mes sons comme on dirait Impromptu du moi ou Confessions musicales… Pierre Henry se livre ici à une entreprise autobiographique qui est à la fois un commentaire incarné de ses œuvres et la constitution par l’écriture, d’un « je » physiquement sonore, personnalité constituée à travers la réception auditive du monde, son écoute et sa transformation. « Je » démiurge, donc, et spectateur du grand théâtre bruissant entre nature et industrie, culture et rumeurs organiques :
« Si les conventions musicales, l’harmonie, la composition, les règles, les nombres, le côté mathématique et les formes avaient un sens par rapport à un Absolu, aujourd’hui, la musique ne peut en avoir que par rapport aux cris, au rire, au sexe, à la mort ». (1947)
Ce recueil de textes écrits des années 40 à nos jours permet de multiples lectures. Celle d’un « simple » journal, tout d’abord, recensant les souvenirs d’enfance, les récits de concerts, les témoignages d’amitié et d’affection à ses proches/complices créateurs. La lecture d’un texte littéraire à part entière, aussi, de par la présence de poèmes que l’on pourrait appeler « électro-acoustiques », de pages de prose cadencée, de par le souci extrême de l’auteur du choix d’un mot, de l’équilibre d’une phrase. Pierre Henry multiplie d’ailleurs les allusions à une intrication, dans son esprit, entre matériau langagier et musical : « Je n’écris pas ma musique avec des notes mais avec des mots » ; « Je travaille dans mes dictionnaires de sons ».
Les amateurs de musique contemporaine – pas forcément de musique savante, disons : les oreilles curieuses de toutes obédiences – peuvent trouver ici à la fois une histoire de la révolution électro-acoustique, des précisions concernant certains virages technologiques, des textes explicatifs de certaines œuvres de Pierre Henry… mais aussi et surtout assister au développement d’une pensée qui a choisi de s’attaquer aux valeurs constituées, aux schémas appris pour recréer sa logique propre. L’étalage des rouages du moteur par son célibataire même, pourrait-on dire. Après avoir dénudé les matières sonores, dévoiler les impulsions, les déclics, les genèses.
Enfin, pourquoi ne pas envisager une lecture musicale de ce Journal de mes sons ? Se prendre au jeu de son créateur et en jouer les différentes parties, à loisir ? Bouleverser les chronologies, mixer les éléments, aller, revenir, superposer les souvenirs auditifs aux siens propres… ce serait une manière d’interagir au refus des frontières de l’œuvre de Pierre Henry ; le Journal de mes sons serait l’une des pièces à jouer de l’artiste tout comme ses créations sonores constitueraient d’autres architectures verbales, à déchiffrer… Quelque chose aux confins : « Ah ! si l’on disait un jour de ma musique ainsi que l’on peut lire sur l’un des cartons du film (Nosferatu de Murnau) : « ici commence le pays des fantômes »… N’est-ce pas tout simplement la définition de la poésie ? ». Des formes en devenir car déliquescentes, sans cesse créées ; des espaces incertains, en cela encore « innommables » d’une existence bruissante, à la recherche de sa grammaire propre. Un objet terriblement concret et évanescent à la fois. En tant que tel, il incarne la complexité limpide de l’œuvre de Pierre Henry : tour à tour savante et populaire, sobre et excessive, solitaire et fusionnelle. Une façon de proclamer la fin des manichéismes. Ou encore : le solfège est mort, c’est nous qui l’avons tué. Vive les sons ! Vive les matières !
— Tu lis les catalogues, les affiches qui chantent tout haut. Voilà pour la poésie ce matin. Et pour la prose, il y a les « Journaux »…
Journal de mes sons de Pierre Henry, Éditions Actes Sud.