Il fallait une princesse, vois-tu, une vraie princesse. Pas un ersatz, un canadadry de princesse. Non, une princesse vraie de vraie, fille de roi. Car le garçon était prince et qu’il voulait épouser. Et comme il était prince, il pouvait se permettre de faire le tour de la terre pendant que les laboureur labouraient, les charcutiers charcutaient et les moutons paissaient, pour trouver sa princesse. Mais il était prince et difficile. Soit le nez était trop grand, soit les lèvres trop minces, soit le caractère difficile, soit le cheveu terne, soit. Il en vint à douter de son orientation sexuelle – mais ça le conte ne le raconte pas, tu penses. Il rentra donc chez lui désespéré, prêt à tenter les back rooms déguisés en manant, pour voir. Avant d’en arriver à cette extrémité, il partit d’un air las, avec un petit soupir en haute-contre, se reposer dans sa chambre. Un terrible orage éclata. Funeste présage, se dit-il et il rêva confusément de cuir, de stroboscopes, de moustaches dans son petit pyjama de soie fleuri, repassé par son ancienne nounou.

Pendant ce temps, son vieux père entendit frapper des coups terribles à la porte du château. Tous les serviteurs étant encore plus sourds que lui, sa femme ayant de l’arthrose et la soubrette qu’il avait engrossée en étant à son huitième mois, il alla ouvrir la porte en bougonnant. Une jeune femme trempée comme une soupe se présenta, les cheveux dégoulinant, la robe gorgée d’eau, le rimmel coulé, bref, pas belle à voir. Elle se prétendit princesse. Ouais ouais, se dit-il et il appela sa femme. Une princesse ne porterait pas des Michel Perry en daim par temps d’orage, se dit-elle, c’est complètement crétin et elle décida de tester la soi-disant princesse qui sentait un peu le chien mouillé, en séchant.

La vieille alla traîner ses articulations sonores dans la chambre à coucher qu’on prêterait à l’invitée ce soir là, retira la literie en râlant contre sa sciatique et mit un petit pois sur le sommier. Elle prit ensuite vingt matelas qu’elle empila sur le petit pois et, par-dessus, elle mit encore vingt édredons en plumes d’eider. D’un air fier, elle présenta la couche à la jeune femme dont les cheveux frisottaient bizarrement à présent. Celle-ci sourit d’un air gêné en se demandant chez quelle bande de malades elle avait bien pu tomber mais comme elle aurait tout donné pour retirer ses vêtements mouillés (tu sais qu’il n’y a pas pire qu’une culotte trempée par l’orage ?), elle les remercia et se coucha. Après avoir bien vérifié la serrure quand même – le vieux avait l’air salace.

Au matin d’une terrible nuit, elle retrouva ses hôtes qui la mataient d’un air torve. Alors, zavez dormi comment, la princesse ? Affreusement mal, répondit-elle. Je n’ai presque pas fermé l’œil de la nuit. Dieu sait ce qu’il y avait dans ce lit. J’étais couchée sur quelque chose de si dur que j’en ai des bleus et des noirs sur tout le corps ! C’est terrible !

Alors, ils reconnurent que c’était une vraie princesse puisqu’à travers les vingt matelas et les vingt édredons en plume d’eider, elle avait senti le petit pois. Poor dear. Une peau aussi sensible ne pouvait être que celle d’une authentique princesse. Pas de la contrefaçon et encore moins un trav.

Le prince la prit donc pour femme, la preuve était tangible et ça l’excitait à mort de coucher avec une fille à qui un petit pois pouvait coller des bleus. Le petit pois fut exposé dans le cabinet des trésors d’art, à côté du bonnet du commandant Cousteau et du porte-cigarette de Sollers, où on peut encore les voir si personne ne les a emportés.

Et ceci est (presque) la vraie histoire.

Signé, ta princesse aux petits poids (l’autre).