Prolexis en est à 18 488 erreurs trouvées dans Écrivains en séries – déjà multiplement corrigé, bien sûr, mais ça compte les erreurs typo – ; la nuit va être longue !…
Prolexis en est à 18 488 erreurs trouvées dans Écrivains en séries – déjà multiplement corrigé, bien sûr, mais ça compte les erreurs typo – ; la nuit va être longue !…
C’est un peu comme le souvenir de dessins animés d’enfance (plusieurs, mélangés anarchiquement) en plein rêve éthylique érotique ou sous acide. Pipi, caca, sperme, cyprine, sang et chocolat. Drawn Together réunit huit archétypes de héros dessinés sous le prétexte d’une émission de téléréalité de type Loft Story – vous vous souvenez ? Loana et Jean-Édouard dans la piscine ! – même pas si caricaturale que ça, finalement. Et c’est là où ça fait mal à la réalité dans laquelle nous nous mouvons et survivons. Plus le trait est forcé, plus il semble vrai. La vulgarité des dialogues, l’obsession sexuelle permanente, la perversion, la cruauté, la manipulation, la jalousie, la domination, tous ces éléments pourtant outrés de toute la force de couleurs RVB et d’effets Flash ne sont jamais aussi aigus, blessants ou révoltants que dans n’importe quelle autre émission de téléréalité mettant en scène de vraies personnes de chair et de sang. Drawn Together agit comme un révélateur critique du monde, du spectacle et du rapport à la représentation. Et un révélateur critique irrésistible, en plus.
Mais passons au casting avant d’évoquer la série plus en détail :
Captain Hero est une espèce de Superman stupide, obsédé par le sexe, à l’appétit d’ailleurs assez voile, vapeur, réacteur, rail… Il est à la fois terriblement viril et aussi nerveusement instable qu’une jeune fille pubère qui connaîtrait chagrin d’amour sur chagrin d’amour. Princesse Clara est un parangon de princesse Disney. Les animaux de la forêt arrivent quand elle chante (ils se font d’ailleurs massacrer dans l’un des épisodes) et elle ne quitte jamais sa robe pastel. C’est la première fois qu’elle sort de son château et affronte le monde extérieur. C’est pourquoi elle pense que tous les Noirs sont des serviteurs et qu’il faut suivre les préceptes du Christ à la lettre. Bref, elle est xénophobe, homophobe, masturbophobe, mais elle se dévergonde tout de même un peu. À sa décharge, elle porte le poids d’une malédiction infligée par sa marâtre qui a posté une pieuvre géante à l’entrée de son vagin. Ling Ling est clairement inspiré de Pikachu, en version psychopathe. Il sait également fabriquer des chaussures de sport en dix secondes – la série jouant beaucoup des clichés racistes. D’ailleurs, il parle un japonais plus qu’approximatif dans lequel des termes comme « Yoko Ono » servent de verbes… Foxxy Love est l’héroïne black des séries Hanna-Barbera des années 70, totalement funky, totalement sexie. À la fois musicienne et détective, son personnage s’inspire de Valerie Brown de Josie & the Pussycats, première héroïne noire à être apparue régulièrement dans un cartoon. Elle a connu un succès d’estime avec son groupe The Foxxy 5 dans les années 80 et tente de relancer sa carrière solo grâce à l’émission. Spanky Ham est la mascotte d’un site porno créée en Flash. Il est à l’image de ce dont il fait la promotion, du sexe à l’uro scato. Il est méchant et manipulateur mais bien sûr finalement très attachant – car tellement humain. Toot Braunstein apparaît en noir et blanc car c’est une Betty Boop des années 1920. Mais ça remonte, les années 1920. Depuis, elle est donc totalement has-been. Elle pensait faire partie des sex symbols de l’émission mais n’entre pas dans les canons actuels : trop grosse ! trop typée ! Elle devient donc « The Bitch » (que nous traduiront euphémistiquement par « la garce ») et tente de semer la zizanie entre ses colocataires. Complètement bipolaire, elle entre dans des rages folles, hurle et pleure dès que l’on ne lui prête pas attention. Elle trouve son réconfort dans la boulimie, ce qui la rend, évidemment, encore plus malheureuse. Xandir est une caricature des héros de jeux vidéo du style Link, le héros de Legend of Zelda. Au début de la série, il lasse tout le monde en ne cessant de répéter que sa mission est de sauver sa petite amie des méchants… mais il fait rapidement son coming out. Sa sensibilité à fleur de peau en fait le parfait confident et l’incarnation de tous les clichés homo. Wooldoor Sockbat semble être un mélange entre Bob l’Éponge et Stimpy des Looney Tunes. Naïf et loufoque, on lui attribue pourtant les fonctions fort responsables de médecin, psychiatre, professeur, prêtre ou pilote.
Si vous ne l’avez jamais ne serait-ce qu’entraperçu, je conçois que ce mélange soit difficile à imaginer. Mais Dave Jeser et Matthew Silverstein, les créateurs de la série, ne s’encombrent d’aucune notion de vraisemblance (chacun des héros mourant successivement pour revenir l’épisode suivant sans explication), il vous suffit donc de penser à un monde anarchique où Bob l’Éponge peut côtoyer Betty Boop. Et comme je l’évoquais plus haut, métaphoriquement, ce n’est pas bien différent de ce qui est offert à nos regards et à nos sensibilités tous les jours…
Drawn Together passe Loft Story (Big Brother, aux États-Unis) aux rayons X mais aussi – plus brièvement – The Bachelor (au moment où l’on cherche un Prince Charmant – qui d’ailleurs, trouvé, se suicidera aussitôt – pour la pieuvre vaginale de la Princesse) et Survivor (les colocataires tentant de fuir leur prison à caméras en hélicoptère s’étant écrasés sur une île paradisiaque…) Dans chacune de ces arènes télévisuelles est mise en scène l’utilisation quasi sacrificielle de l’être humain, annihilant la souveraineté de son identité au profit de l’amusement (ou plutôt : « entertainment », cela devient une notion à part entière) des masses. Chaque individu est un pion manipulé par les producteurs pour leur rapporter de l’argent. En dehors de ce circuit et dans leur logique, ce pion ne vaut rien. Les personnages de Drawn Together l’expérimenteront quand, ayant quitté à la fois leur Loft et Survivor, ils se feront claquer porte sur porte au nez à Hollywood. Usant d’un procédé oxymorique certes ancien mais efficace, Drawn Together – mettant en scène des personnages enchantés et merveilleux dans un décor de fiction télé censé mimer la réalité – est une série de la lucidité et du désenchantement. De nombreux thèmes politiques et sociaux y sont abordés. Et comme dans South Park, leur traitement vulgaire, scatologique et outrancier est une bonne arme de dénonciation. On a déjà évoqué le racisme et l’homosexualité. La série parle également de l’exploitation des masses, du travail des enfants, du handicap mental, des maladies alimentaires, des troubles psychiatriques, du rapport parents/enfants, de la guerre et même, métaphoriquement, de la Shoah (Wooldoor Sockbat et toute son espèce se retrouve en pyjama rayé, mené à la mort par les Sweetcakes) et donc, de la nécessité de ne pas oublier l’Histoire. Techniquement, l’animation joue souvent des codes du genre à travers, par exemple, l’utilisation extensive de pauses inhabituellement longues dans l’action, le spectateur se retrouvant face à une image fixe pendant d’interminables secondes. La répétition, tel un hoquet emballé, agit également en instrument comique et critique. Drawn Together ose tout et, osant tout, fait œuvre de salut public. En cela, paradoxalement, c’est une série qui porte beaucoup d’espoir. Mais cela n’aura duré que trois saisons.
Article à paraître dans Écrivains en séries.
Tagué:Écrivains en séries, Betty Boop, Canal +, Captain Hero, Comedy Central, Dave Jeser, dessin animé, Disney, Drawn Together, Foxxy Love, Laureli, Ling Ling, Loft Story, Matthew Silverstein, Princesse Clara, série télé, South Park, Spanky Ham, texte critique, Toot Braunstein, Wooldor Sockbat, Xandir
Un état du début de mon texte sur Twin Peaks pour Écrivains en séries…
Welcome to Twin Peaks. My name is Margaret Lanterman. I live in Twin Peaks. I am known as the Log Lady. There is a story behind that. There are many stories in Twin Peaks – some of them are sad, some funny. Some of them are stories of madness, of violence. Some are ordinary. Yet they all have about them a sense of mystery – the mystery of life. Sometimes, the mystery of death. The mystery of the woods. The woods surrounding Twin Peaks.
To introduce this story, let me just say it encompasses the all – it is beyond the fire, though few would know that meaning. It is a story of many, but begins with one – and I knew her.
The one leading to the many is Laura Palmer. Laura is the one.
L’envers du décor
Les ombres de la forêt
La nuit sert à entendre et le jour à voir
Laura Palmer ne se résoud pas à mourir
Sometime ideas, like men, jump up and say « hello ». They introduce themselves, these ideas, with words. Are they words ? These ideas speak so strangely. All that we see in this world is based on someone’s ideas. Some ideas are destructive, some are constructive. Some ideas can arrive in the form of a dream. I can say it again : some ideas arrive in the form of a dream.
En gesticulant. Scènes de désespoir, de lamentations. La mère, masque de tragédienne, est sous calmant, prostrée au fond d’un canapé. La télévision est allumée. Le père oublie toute dignité, sanglote en public, pantin manipulé par la violence de la douleur. Leur espoir, leur enfant devenue grande, trop vite. Arrachée à la vie. La petite ville de Twin Peaks est stupéfiée. Le charme de sa nature grandiose, rompu. Comment une telle chose peut-être arriver dans un endroit aussi paisible ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? En gesticulant, en pleurant, on s’interroge. Il était une fois la mort de la belle Laura Palmer. Le 23 février 1989. Laura, la belle Laura, fierté de tous, retrouvée morte, flottant sur une rivière dans une aube glacée, près de l’usine de bois. La rumeur laisse passer. Des gémissements, quelques doutes. J’étais déjà partie. Les cheveux blonds, trempés, ondulés, la pâleur du visage ceint d’un drapé opaque de plastique immaculé lui donnent l’aura d’un ange lassé, malgré lui. C’était écrit, d’ailleurs.
There is a sadness in this world, for we are ignorant of many things. Yes, we are ignorant of many beautiful things – things like the truth. So sadness, in our ignorance, is very real.
The tears are real. What is this thing called a tear ? There are even tiny ducts–tear ducts – to produce these tears should the sadness occur. Then the day when the sadness comes – then we ask : « Will this sadness which makes me cry – will this sadness that makes my heart cry out – will it ever end ? »
The answer, of course, is yes. One day the sadness will end.
Il y a toujours de la musique dans l’air. Mis en scène par l’encadrement de la fenêtre, le spectacle de la famille déchirée de douleur. On ne distingue que des hoquets entrecoupés de mots d’amour à l’attention de leur petite fille morte, leur enfant si lumineuse. Et le contraste de la campagne alentour, d’un vert tonitruant. Elle pourrait en raconter tant, de jour comme de nuit. Et moi donc. La cime des grands arbres ondule une chanson triste. Les chœurs sont des jeunes filles éplorées, intemporelles. Sans conviction, les élèves du lycée de Twin Peaks poursuivent leur journée de cours après la macabre nouvelle. Mais l’entourage proche de Laura ne parvient pas à surmonter le choc. « Que faire dans un monde où n’importe qui peut surgir de n’importe où et faire n’importe quoi ? » Personne ne comprend comment le conte de fées a pu ainsi tourner au cauchemar, comment la jolie princesse blonde au sourire renversant a pu être sacrifiée avec tant de violence. Un déchaînement qui paraît inhumain, comme le fruit de forces obscures et lointaines. Dans cette petite ville noyée au cœur de la forêt, plus qu’ailleurs, on connaît le poids d’une histoire tissée de légendes indiennes, le combat permanent du bien et du mal au cœur de chaque instant. (Le poids de l’histoire et des légendes, et ce qu’il en coûte de ne pas écouter les menaces grandiloquentes du vent dans les sycomores.)
…
…Un espace fictionnel suractif. Et les années 2000 ++ semblent représenter un âge d’or formel de séries initiées, par exemple, par Twin Peaks. Mais les généalogies sont plus complexes. Car justement, ce qu’il y a de bien, avec les séries, c’est que c’est un genre décomplexé…
Ça ne vous est jamais arrivé à vous ? Vous êtes censé représenter une espèce de catégorie culturelle Bac +(quelque chose entre le souvenir des fesses ankylosées sur les mauvaises chaises de l’Éduc. Nat. et le goût aigre annonciateur d’ulcère (mais c’est la nicotine, aussi) du café machine n’en ayant que le nom – de café – avec, parfois, heureusement, quelques éveils intellectuels et sensoriels, ouf), vous vous trouvez en pleine discussion dite « culturelle » avec des personnes censées représenter la même catégorie « sociale » que vous (clever fauchés) lorsque, entre une citation de Futur ancien fugitif et une allusion à Clément Rosset, vous vous mettez, sans transition à évoquer le dernier épisode de Dark Angel, de Six Feet Under, de Star Trek, des Simpson, de Futurama… et vos interlocuteurs vous regardent soudain comme si vous veniez de commettre un geste totalement déplacé tout en ayant perdu un gros morceau de cerveau en route…
Le problème – si tant est qu’il y en ait un – est sans doute que les séries peuvent être le lieu de rencontre, justement, de plusieurs catégories culturelles. Que s’y superposent différents niveaux de lecture avec pour point commun : le plaisir de l’instant. Socialement, les séries sont fédératrices ce qui passe difficilement dans une structure hiérarchisée. Moralement, elles représentent une espèce de pause active, une détente teintée d’affects et de sentiments ; c’est encore pire.
Et puis c’est une culture de branleurs, quand même, non ? (pas de pages à tourner, de piste difficile à avaler, de place à raquer, de public à supporter…)
Yes ! so what ?
Nullement bridées par un cadre historique, esthétique ou culturel, les séries peuvent se permettre de piocher où bon leur semble pour créer leur univers dans une temporalité fragmentée qui est leur dénominateur commun. Ainsi, pour les anciens insomniaques shootés à Xfiles (amoureux de Mulder ? de Scully ? de la carrure de Skinner ?… ou juste paranos…), les insomniaques chroniques branchés sur Profiler, les régressifs-mais-pas-trop abonnés à Buffy contre les Vampires, les punks ne ratant jamais un South Park, les Œdipe foirés matant Les Feux de l’amour (avec leur grand-mère – c’est toujours moins déprimant que Julien Lepers) + Côte Ouest + Santa Barbara + Love & Married + Derrick en phase dépressive (là on commence à avoir du mal à acquiescer, tout de même…)… il existe aujourd’hui nombre de séries réconciliant une qualité d’image et de narration avec ce plaisir un brin pervers du découpage en épisodes – avec production d’adrénaline garantie.
Par exemple (en tout sauf exhaustif) : 24 heures chrono, Six Feet Under, Desperate Housewifes, Les Soprano, The She World, Carnivàle, Lost… il s’agit là d’un espace de création qui n’a rien à envier – du point de vue de l’exigence formelle – aux arts dits « nobles » (du 1er au 7e) avec une efficacité impactuelle décuplée.
Quant à l’effet anxiolytique – anesthésiant ? floutant ? euphorisant ?… (« divertissement » ?)… sans doute autant que la tartine du matin, la clope de 11 heures, le Spéculos dans le café, la surenchère de produits de beauté, le p’tit Chardonnay de 19 heures, le ronron du chat, l’odeur du pot-au-feu… le réel dans ses effets…