
Parmi les paroles qui se libèrent, on entend celle des auteur·e·s qui, de façon croissante ces dernières années et particulièrement sensible ces dernières semaines sur les réseaux sociaux, osent enfin partager leurs mésaventures. Je pense à plusieurs témoignages concernant des conditions d’accueil inacceptables pour des lectures publiques ou performances.
Pendant combien d’années n’en ai-je entendu que des bribes, confiées à voix basse, avec gêne et colère. Je comprenais bien pourquoi l’on se taisait, cela m’était arrivé aussi : honte de voir son travail ainsi dénigré mais aussi crainte de ne jamais travailler… On se dit toujours qu’une lecture sous-payée voire gracieuse, c’est toujours une lecture, donc la rencontre d’un public donc… Mais non, NON ! Pas à n’importe quelle condition.
Je suis donc enthousiaste que les voix s’élèvent et j’aurais envie de faire une suggestion, pour poursuivre la réflexion : pourquoi ne pas essayer de coordonner ce mouvement en utilisant une charte des bons usages ? Elle évoquerait les éléments de rémunération et d’accueil. Dans tous les autres métiers, il y a la rédaction de devis qui doivent être acceptés avant que le travail ne soit réalisé ; pourquoi l’écrivain·e serait seul·e à confier sa subsistance à un flou artistique qui sert en grande majorité les structures invitantes ? Une charte permettrait d’annoncer la couleur immédiatement vis-à-vis des programmateurs au moment de l’invitation, ce qui pourrait peut-être éviter des malentendus. Il vaut mieux se rendre compte d’un différend irréconciliable dès l’amorce de dialogue plutôt que la veille de l’événement ou le lendemain, l’auteur·e se sentant alors pris·e au piège et échangeant des paroles acides avec la structure invitante. Et puis, certains différends peuvent ainsi être négociés, on peut arriver à un accord. Car il y a certes les gougnafiers de la pire espèce mais aussi des gens qui n’ont tout simplement pas été habitués à rémunérer correctement les auteur·e·s. Avec ceux-là, il faut être pédagogique, expliquer sereinement, arguments à l’appui, afin qu’ils puissent être convaincus et convaincre les structures qui les emploient, que c’est essentiel. C’est même : la base. Et c’est un travail qui ne se fera pas dans l’isolement.
Car on peut être gêné·e de mener ce genre de négociations pour sa pomme ; je le comprends d’autant mieux que c’est mon cas. On peut avoir du mal à « se vendre », avec cette affreuse impression d’avoir à s’évaluer, c’est tout du moins ainsi qu’on peut le ressentir. En France, on a été conditionné à considérer que l’argent est une sale chose qui ne devrait pas souiller les écrivain·e·s et les artistes, ces êtres qui vivent de la grâce de leur muse et d’eau fraîche – alors que ceux qui s’enrichissent sur leur dos en supportent tout à fait l’odeur dans leurs poches remplies… Une charte des bons usages résout ce problème. On ne se vend pas individuellement, on énonce les conditions requises par l’ensemble de la profession. On défend ses intérêts tout en étant solidaire et on calme le jeu.
Je pense qu’il est inutile que je rappelle ici le contexte socio-économique… je suis persuadée que se regrouper est l’unique manière d’y répondre ; si l’on veut survivre. Si l’on veut permettre aux prochaines générations de pouvoir continuer à créer dans des conditions décentes. Si l’on veut espérer que la voix de la littérature poursuive sa mission essentielle, au cœur même de la société.
Et puis si l’on préfère en rester aux arguments pragmatiques, il est toujours plus efficace, en cas de conflit, d’annoncer que l’on est membre d’une association d’auteur·e·s qui possède un service juridique… plutôt que s’égosiller dans un désert d’indifférence…
Les institutions existent déjà pour épauler toutes et tous les auteur·e·s de l’écrit, en particulier la Société des gens de lettres à laquelle il est, à mon sens, essentiel d’adhérer selon la logique précédemment exposée.
Cette charte des bons usages dont je parlais… eh bien, bonne nouvelle ! elle existe déjà, recommandée par la SGDL et La Chartes des auteurs et illustrateurs pour la jeunesse. Il n’y a plus qu’à l’utiliser.
Vous pouvez la lire p. 44 du Guide des auteurs édité par la SGDL, le CNL et la FILL.
Ou en ligne sur le site de la Charte des auteurs et illustrateurs pour la jeunesse.
Dans le même esprit, voici le guide : Comment rémunérer les auteurs ? À brandir assorti d’un sourire angélique dès qu’un·e comptable vous rétorque avec un œil de poisson : « Ah ben payer un·e auteur·e ? On sait pas… »