À ce sujet de départ pour Anomalie des zones profondes du cerveau – cette migraine aiguë nommée algie vasculaire de la face – est venue s’ajouter une réflexion : la société qui est la nôtre apprend à se considérer comme un rouage parfait, sans défauts.
Or la vie est tout sauf cela.
« Life is not neat » disait l’écrivain B.S. Johnson, la vie n’est pas lisse et bien rangée.
La jeunesse semble LA valeur absolue alors qu’il ne nous appartient pas d’entraver les rouages du temps… Même les morts doivent rester frais et s’altérer le plus tard possible, embaumés et surmaquillés – ce qui est absurde et extrêmement polluant.
Des manières de s’abîmer dans le malheur. Car comment peut-on accepter sa propre vie, dans des conditions si normatives ? Une vie qui se déroule bien en trois dimensions, à travers joies et aléas, moments heureux et accidents… pas sur les pages glacées des magazines ni sur les surfaces tout aussi froides des écrans.
Je voulais écrire la liberté d’être. De ressentir, de souffrir. D’avoir des cicatrices et de les aimer. La liberté de faire des choix, pour sa propre vie. C’est la condition d’une existence accomplie, à mon sens. Et de la création.
Je pense à Beth Whaanga et à son Under the Red Dress Project, à Bethany Townsend, cette mannequin souffrant de la maladie de Crohn qui a posé avec sa poche de stomie, à Winnie Harlow, mannequin atteinte de vitiligo, à tous les modèles dits « plus size », aux yogis de taille, à la sublime Lizzie Velasquez qu’on a appelé « the ugliest woman in the world »
à ceux qui œuvrent à rendre le monde plus ressemblant et plus beau
à Aimee Mullins et à ses douze paires de jambes
à toutes les gueules cassées, les cicatrices, les membres manquants, les handicaps…
Cette liberté s’exprime également vis-à-vis de la médecine, non pas pour la critiquer par principe, mais pour cultiver un dialogue essentiel entre patients et praticiens. Un dialogue fructueux. Il est heureusement des médecins, tel Martin Winckler, qui n’ont de cesse de défendre cette écoute nécessaire. Trop souvent on met en question le ressenti de la douleur, on applique des recettes apprises sans les comprendre, on ne tient pas compte de la singularité de chaque être humain, on minimise des effets secondaires, on rudoie alors qu’en face c’est le désespoir le plus total… Il importe à mon sens à chacun, lorsque c’est possible – il y a hélas des situations d’urgence ou d’extrême précarité – de s’informer sur ce qui l’affecte et de faire des choix conscients, de demander d’autres diagnostics, sans se laisser réifier par la grosse machine médicale qui peut-être d’ailleurs tout aussi pernicieuse vis-à-vis du personnel soignant, en général surexploité. Notre corps n’appartient pas à la société. Nous devons faire confiance au médecin que nous choisissons pour nous guérir mais nous n’avons pas à être aveuglément docile.
D’où, parmi les récits enchâssés que j’évoquais dans le deuxième billet, des histoires de découvertes fracassantes, des pavés dans la mare remettant en cause l’image d’une humanité linéaire comme une droite bien ascendante et proprette. La réalité est plus complexe, pleine de méandres, de détours, de friches belles comme la poésie. Acceptons le désordre de l’effervescence, la digression, l’indocilité, la pensée analogique.
Ainsi, dans Anomalie des zones profondes du cerveau, vous trouverez – entre autres – : des épisodes migraineux (forcément…), un grand lac européen connu, Marilyn Monroe, des Photomatons, des révélations archéologiques, Laurence Sterne, un épisode d’X-Files, René Allendy, des balades en Castagniccia, L’Île aux Fleurs, une histoire d’amour (quand même), Avalokiteshvara, une sinusite carabinée, John Cage, des champignons…
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